Journal d'Alex

Tu clignes plusieurs fois des yeux, les images colorées s’imprégnant dans ton esprit. Tu répètes ce manège tous les jours depuis trois ans, déjà. Tu sais exactement quelle histoire se trouve à quelle page, quel personnage fait office de héros ou de vilain. Ce jouet, tu t’y es accroché dès ton arrivée dans cet établissement. Tu le gardes constamment contre toi, refuse qu’un autre enfant s’en approche. Tu dors avec ce livre, comme si ta vie en dépendait. C’est la seule chose qui te donne envie de continuer, qui te donne un peu d’espoir, du haut de tes trois pommes. Tu remontes ton drap sur tes petites jambes, jusqu’à ta taille, tes yeux brillant d’une lueur espiègle en voyant la porte du dortoir s’entrouvrir. Ce moment, tu l’attends patiemment chaque soir avant de t’endormir. L’arrivée de cette silhouette que tu trouves si réconfortante est le moment clé de tes journées. Si tu pouvais avoir une maman, ce serait elle. Tu sais que c’est son travail de veiller à ton bien-être, mais tu vois en Elsa une figure maternelle que tu chéries. « Tu ne dors pas encore, petite fleur? » Sa voix s’élève dans la pièce comme une musique à tes oreilles. Tu lui tends ton livre sans prononcer un mot, la nonne prenant place au coin de ton lit tandis que tu poses la tête sur ton oreiller. « Il était une fois, dans un pays bien lointain… » Sa voix te berce. Il ne te faut pas de temps pour rejoindre les bras de Morphée. Tes rêves sont heureux, ce soir. Ils sont doux, colorés. Tu es enfin entouré d’une famille aimante. Tu n’as pas peur.

Spoiler:

Tes yeux scintillent. Tu as des fourmis dans les doigts tellement le bijou exposé dans la vitrine te fait de l’œil. Ce serait jeter ton argent par les fenêtres que de dépenser ta toute première paye sur un accessoire que tu n’aimes de prime abord pas porter. Mais tu y es irrémédiablement attiré. La clochette de la porte d’entrée tinte plusieurs fois alors que tu t’engouffres dans la boutique. D’un pas décidé, tu te diriges vers la vitrine et glisses ton index sur l’item que tu convoitises. Il est bien plus beau en vrai, de près. Tu l’attrapes délicatement entre tes doigts et en examines les fioritures, un doux sourire collé aux lèvres. Le médaillon brille de mille feux et tu ne peux t’empêcher de penser qu’il t’irait comme un gant, bien qu’il soit destiné à une clientèle féminine. Tu tournes les talons et te diriges vers la caisse, où l`’employée se tient, un large sourire aux lèvres. Elle attrape l’item, qu’elle emballe dans une boîte, ajoutant un « Quelle chanceuse, c’est pour votre petite amie? » Tes joues sont rouge pivoine et tu t’empresses de payer pour sortir au pas de course. Tu attends d’être au moins deux blocs plus loin pour déballer le collier et le passer à ton cou, admirant ton reflet dans une vitrine.

Spoiler:

Silence total dans la maisonnée. Un moment parfait dans ta journée. Tu adores ces instants de solitude, ces instants où tu peux te recueillir. Le plus silencieusement possible, tu gravis les escaliers, restant à l’affût, comme si tu avais peur de te faire pincer alors que tu sais pertinemment que personne n’est présent. Sur le pallier, tu hésites longuement. Quelle porte choisir? Quelle dragonne remarquera ton subterfuge en premier? Laquelle gardera son trésor plus férocement que l’autre? Tu optes pour la plus jeune des deux. Tu pousses sa porte et inspectes rapidement la chambre pour s’assurer qu’elle ne s’y trouve pas. La porte fait un vacarme infernal, ne manquant pas de signaler ta position à qui que ce soit. Tu ouvres la penderie de ta sœur et t’émerveilles devant les couleurs et les étoffes qui s’offrent à toi. Tant de possibilité en si peu de temps. Tes doigts caressent les tissus et tu optes pour une robe mi longue d’un bleu profond. Tu t’empresses de l’enfiler et te diriges vers le miroir se dressant au fond de la pièce. Ton pendentif s’harmonise parfaitement avec la teinte de l’étoffe. Tu rayonnes. Tu ne pourrais être plus heureux ou plus à l’aise qu’à ce moment même. « Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre? » Tu figes sur place. Lentement, tu te retournes et fais face à la dragonne. Tu te sens si petit dans ton armure. Tu n’as rien pour te défendre. « J-je m’excuse… » Elle s’appuie sur le cadre de la porte et te toise, t’examinant de haut en bas. « Garde-la. Elle te va bien mieux à toi qu’à moi. Je ne le dirai pas à papa. » La pression retombe directement. Elle referme la porte et te laisse profiter de son antre pour encore quelques heures. Ce manège se répète plusieurs fois, jusqu’à devenir un rendez-vous hebdomadaire.

« JE T’AIME. » Tu cris ces mots le plus fort possible. Tu veux être certain qu’il t’entende, certain qu’il comprenne exactement comment il se sent. Tu en as marre de garder ça pour toi, de faire comme si de rien n’était chaque fois que vous passez du temps ensemble. Tu cours pour le rattraper, tend une main pour serrer tes doigts sur son t-shirt, le retenant. « Je t’aime depuis toujours. Depuis que… » « Tu me dégoûtes. » Tu t’arrêtes net, le souffle coupé, comme s’il venait de te frapper en plein ventre. Il rit, se retourne et te repousse doucement. « T’as jamais compris, mh? Quand je te repousse. Je ne t’aime pas. Je ne t’aimerai jamais. » Il reste gentil dans ses mots, mais tu sens la colère bouillonner en lui. Tu veux t’expliquer, lui dire que c’est possible, qu’il t’aime aussi, mais tu ne fais qu’envenimer les choses. Il finit par te pousser et tu tombes au sol, écarquillant les yeux. Tu glisses ta main dans ta poche et te rends compte que ta montre, cette montre qu’il t’a lui-même offerte, est cassée. « Ne m’adresse plus jamais la parole, veux-tu. » Tu hoches la tête. Tu ne le retiens même pas. Tu te détestes à un point tel, tu n’arrives même pas à l’exprimer.