we could be strangers in the night • CARMÉBLUR

Sa mâchoire le tiraille, le goût amer de son sang sur sa langue l’horripile et ses oreilles bourdonnent encore, lui faisant se demander si une des brutes écervelées n’avait pas cogné son appareil même si ses os étaient suffisamment douloureux pour qu’il ait une idée de son visage amoché. À tituber comme il le fait, crachant l’hémoglobine qui s’était accumulée dans sa bouche au sol, il a l’air du cliché pathétique du poltron incapable de tenir sur ses jambes, rien de moins. Manquerait plus qu’il vomisse sur ses godasses et le tour serait joué. L’ivrogne tragiquement pitoyable pas fichu de garder sa langue dans sa poche et d’y garder ses poings, s’étant excité sur le premier venu parce qu’il estime en avoir le droit et qui s’est finalement pris une raclée qu’il a bien méritée. C’est pas la vérité mais personne ne viendra s’arrêter pour le lui demander alors faut bien qu’il se fasse aux apparences. « Merde. » Un rebord mal placé, un regard pas assez affûté et ses jambes hésitantes le foutent au sol. Il trouverait sûrement ça comique si ce n’était pas lui le cul par terre en plein milieu de la rue au beau milieu de la nuit. À ce stade, il espérait simplement croiser personne qu’il connaisse jusqu’à ce qu’il parvienne à ramper chez lui, même croiser personne tout court s’il pouvait avoir son mot à dire.

C’est à croire que l’univers se fiche de lui quand des mains viennent se poser sur ses épaules alors qu’il est toujours assis par terre, n’ayant pas encore trouvé le courage de se relever, à croire que mettre un pied devant l’autre c’est trop compliqué pour lui. À défaut de voir autre chose qu’une figure un peu trouble, il ne reconnaît pas la voix qui s’adresse à lui et s’il ne s’estime pas chanceux pour autant, la fortune n’ayant pas tendance à sourire à ceux dans le caniveau, il est déjà soulagé d’être jugé par un simple inconnu que par quelqu’un à qui il devrait rendre des comptes par la suite et dont l’opinion à son sujet pouvait lui mettre  des bâtons dans les roues. « Ouais, ça va merci, j’ai juste... D’un geste un peu maladroit, il fait tourner son index sur lui-même pour signifier qu’il avait simplement été étourdi avant d’essayer de se relever mais sa vision tarde pas à être parcourue de taches sombres pour avoir eu l’audace de bouger trop vite. Wow. souffle-t-il à travers un rire sourd étouffé, décidant qu’il valait mieux finalement qu’il reste assis sur le bitume humide ; mieux vaut ne pas tenter le diable, surtout quand il a la bonté de nous avertir de ne pas le chercher outre mesure. Faut voir la tronche de l’autre gars. Ça lui fait mal au flanc de plaisanter mais le gars avait eu l’amabilité de vérifier qu’il n’était pas en déchet en décomposition dans son propre vomi sur le bord de la chaussée alors il pouvait au moins tenter d’être suffisamment civil pour lui montrer qu’il n’était pas une raclure éméchée qui avait pour habitude de s’asseoir sur le trottoir avec sa gnôle tous les dimanches. Il est en bien meilleur état que moi. Son sourire se crispe un peu, à l’image de sa mâchoire qui se contracte sous ses mots, pour finalement disparaître, remplacé par une moue renfrognée. Forcément, à trois contre un c’est plus simple. » Ça sonne amer et il l’est encore. Si le connard n’avait pas pris la mouche en commençant à lui chercher des noises, ses articulations ne seraient pas en sang, et si ses deux potes ne s’étaient pas ramenés pour le complaire dans son abrutissement irrévérencieux tout en l’empêchant de se prendre une tannée, il serait pas par terre à avoir mal aux côtes.