Smoke'Em out ft. Mustang

Si la vie à Varakès paraît pour le moins étrange, il est surprenant comment il est facile de l'oublier durant la journée. Les heures s'écoulent comme n'importe où. Les plus pauvres se tapent des emplois de merde, les gens discutent de banalité, il s'y forme des amitiés, des rivalités, et il faut toujours payer son loyer. Rien de plus banal. Le regard rivé sur la vitrine du diner alors que je nettoie lâchement une table, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui se cache dans la nuit. C'est ça en fait. Ce rappel, chaque soir, qui me rattrape. Ce rappel que, non, la vie à Varakès n'est pas banale et qu'il s'y cache bien des mystères. Je soupire en me relevant, faisant toujours face à la fenêtre dans laquelle se reflète les tristes néons du Diner. Je ne peux pas m'empêcher de me laisser aller à ces réflexions lorsque le restaurant est aussi vide, en soirée. Je demande normalement à mes collègues de couvrir ce shift, pour cette exacte raison. Malheureusement, ce n'était pas possible ce soir...

Je me retourne en un soupir et jette un coup d'oeil à ma montre. Plus que quelques minutes. Je me suis toujours demandé pourquoi Louise (ou peu importe qui posséde cet endroit) nous faisait travailler jusqu'à si tard. À cette heure, il était rare de servir plus que deux ou trois personnes avant la fermeture. Rien qui puisse rembourser le salaire de deux employés pour la soirée. À titre d'exemple, ce soir, pour un long moment déjà, je n'ai servi que quelques tasses de café au seul client encore présent. Je m'affaire donc à nettoyer un peu la saleté la plus évidente, laissant derrière ce qui ne sera sans doute pas remarqué demain matin. Je ne m'occupe pas trop de Mustang qui est assis, comme à son habitude, au comptoir. Il semble terminer lentement son café. Je ne sais bien pas ce qu'il peut trouver de si charmant à cet endroit, pour y venir aussi souvent. L'horloge sonne les 22 heures au moment où je ferme ma caisse. À peine quelques secondes plus tard, le cuisinier me fait signe de son départ et quitte par l'arrière, me laissant le soin de verrouiller le restaurant. Je jette un coup d'oeil à la tasse de Mustang, vide depuis un moment et roule les yeux. L'idée de rentrer immédiatement chez moi et d'être entraînée dans un tourbillon de pensées ne m'intéressait pas du tout. Aaah, à quoi bon, dis-je tout bas en sortant une seconde tasse sous le regard interrogateur de mon unique compagnie, suivie d'une bouteille d'un alcool fort quelconque vaguement caché sous le comptoir. Je nous verse mollement un verre à chacun avant d'engloutir le mien.

« It makes the night easier, doesn't it? » dis-je avec un mince sourire. Je me secoue la tête, « Argh, anyways... » et quitte brièvement vers la salle des employés-es pour me changer. En revenant à la salle à dîner, Mustang est toujours au comptoir. Je prends nos deux tasses et les rince rapidement à la cuisine avant de me diriger vers la porte, clés en mains.

« Alright, time to leave, big guy. It's late and my couch is desperate to see me. »

De retour au diner, une nouvelle fois, en soirée, ce coup-ci. Pourquoi? Pourquoi pas ? J’ai le choix entre siroter un café qui me rendra probablement insomniaque et affronter le vide étouffant de mon appartement, son terrible silence et l’absence totale de souvenirs pour me réconforter. Dans un tel trou noir, à compter les heures, j’en viens toujours à me demander s’il en a toujours été ainsi ? Avais-je toujours été si seul ? Ou avais-je oublié quelqu’un ? C’était pour éviter cela que j’avais encore décidé de m’y rendre, plus tôt ce soir là. Rien de prévu avec les cobras ou les potes, Louise’s diner ne ferme pas très tard, mais au moins peut faire passer un bout de ma nuit. Il n’est jamais très sage de boire de la caféine après 2h l’après-midi si on veut profiter d’un sommeil réparateur, mais je ne sais pas trop comment justifier ma présence en ce lieu. J’aime bien les serveuses, mais loin de moi l’envie qu’elles pensent que je m’y pointe le bout de la barbe pour les draguer, ça gâcherait le lien de confiance, je pense. Je m’y étais donc installé, avait commandé quelques cafés à la serveuse présente, avait lu quelques journaux. Ce soir, c’est Blue qui est en poste, ce qui est inhabituel, je la croise habituellement le matin. Ça n’a pas eu l’air de l’enchanter d’ailleurs, avec raison. Si les matins sont généralement animés au diner malgré la clientèle restreinte, le soir, c’est un peu à se flinguer. Mais moins que mon appartement.

Voyant l’heure de la fermeture approcher, je commence à me faire des plans, douloureusement éveillé en ce début de soirée sur-caféiné. Qui irais-je voir ? L’idée de payer pour de la compagnie m'apparaît comme trop gênante ce soir, surtout après avoir payé 5$ de café filtre. J’imagine que la suite, c’est un bar. À partir d’un certain moment, les interactions sociales semblent venir plus facilement à tout le monde. Wow, je me déprime juste à m’entendre penser. Clairement, je ne suis pas fait pour ce genre d’existence en solo. Peut-être devrais-je m’acheter un chat. Ou faire un tour dans les refuges, faire de bénévolat au lieu de m’intoxiquer… Mais quel genre d’établissement offre des heures de bénévolat après 21h ? Je prends une nouvelle gorgée de mon café pour me rendre compte que celui-ci est vide. Eh bah, c’est la fin. Un objet traverse mon champs de vision qui scrutait le fond de ma tasse. Une autre tasse. Je lève les yeux vers Blue et lui sourit. Mon sourire s’agrandit lorsque je remarque la bouteille de fort dans sa main. Cet endroit ne cessera jamais de se dépasser. Blue semble avoir lu dans mes pensées… Métaphoriquement, je l’espère, l’idée que l’on farfouille dans ma tête me fout la trouille. Je répond à sa généreuse offre avec un rire discret. « It does… Thanks. » Puis, je l’imite avant d’avaler d’un trait l’alcool décapant aux arrière-goûts de café.

Cela sonne le glas du restaurant qui, de toute évidence, ne peut rester ouvert que pour mes beaux yeux. Alors que Blue se dirige vers l’arrière, je soupire un peu. Si seulement cette lichée de fort pouvait effectivement rendre ma soirée plus facile. Mais il en faudrait un peu plus. Je masque la mélancolie de mon expression dès que j’entends la jeune serveuse revenir. Je sais qu’elle doit fermer boutique et pourtant, j’attends qu’elle se dirige vers la porte pour enfin me lever de mon tabouret, étirant mes dernières secondes dans cet asile. En l’entendant dire qu’il est bien tard, je rigole à nouveau. « Late? Boy, is it hard to be a twenty-something! » En fait, j’en sais rien, elle s’est probablement levée bien avant moi. Malgré mon ironie, je ne fais pas de chichi et me dirige à l’extérieur. Cependant, je ne m’éloigne pas trop, n’ayant pas envie de laisser Blue toute seule à verrouiller son magasin dans la nuit noire. On ne sait jamais qui traîne dans la rue à cette heure, un scorpion géant ou ces idiots du Wolf Pack. Je sors une cigarette de ma poche, l’allumant par réflèxe.