you owe me ▬ faith

T'aimais pas spécialement ce boulot, mais t'aimais l'argent qu'il t'apportait. Les nuits étaient devenues tes jours et inversement, mais qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? La ville était peuplée de tarés de toute évidence, et il n'était finalement pas beaucoup plus sûr de se promener le jour que la nuit. Tu étais intimement convaincu que tu ne ratais pas grand-chose alors tu ne râlais pas sur ta condition. L'avantage dans ce boulot c'est que les gens étaient souvent trop imbibés d'alcool pour pouvoir se souvenir de quoique ce soit, alors tu te sentais presque libre de faire ce que tu voulais. T'avais pas non plus besoin d'utiliser ta tête, tes mains suffisaient et il faut dire qu'elles avaient vite pris le pli. Rien de bien compliqué donc, en somme. Et puis y'avait ce gars qui jouait le soir. Qu'on te demande pas son nom, t'avais jamais été doué pour retenir beaucoup de choses, surtout les prénoms. Mais ça t'empêchait pas de l'apprécier. Sa musique ça apportait un peu de douceurs aux soirées, c'était agréable. Tu l'avoueras jamais, mais maintenant que t'étais habitué à ces petits moments musicaux dans tes soirées, c'était vide quand il jouait pas, l'aveugle. Et il se faisait plutôt désirer, pour être tout à fait honnête. T'allais quand même pas râler, t'étais plus un enfant, mais tu sentais malgré tout l'impatience qui s'installait en toi. Qui bouffait petit à petit ton espace. Tu tapais des doigts sur ton bar avant qu'on vienne te redemander un verre. Alors sans perdre une seconde, tu faisais ton boulot tout en gardant un œil à la salle, voir si le musicien allait se pointer. Chose qu'il fit, mais pas exactement derrière le piano. ▬ T'as décidé de chômer ce soir ma parole ? Un sourire qu'il ne pouvait décemment pas voir, mais ça ne t'empêchait pas d'y mettre les formes. T'étais peut-être pas le plus enjoué des barman que le monde ait connu, mais t'étais pas non plus un gros con. Tu avais au moins ça pour toi.  

Il marche avec hésitation; l’une de ses mains se renferme sur la anse de sa sacoche, tandis que de l’autre se balance maladroitement et lui arrache une grimace chaque fois que le mouvement se fait trop brutal. La blessure de son épaule provoquée par sa mésaventure de la veille n’est évidemment pas encore cicatrisée, ce qui rendait alors le moindre de ses mouvements douloureux. Si un jour un curieux lui demandera se qu'il s'est passé, il dira s'être cogné en trébuchant dans les escaliers. Pourtant au delà de ses mots on y percevait l’artifice; en dessous de son bandage on pouvait y percevoir une plaie qui n’avait en rien l’air d’être causé par une chute. c’était une violente lacération presque aux formes presques animales. Mais qui pourrait le croire? Qu’un monstre métallique l’aurait agressé en pleine nuit lorsqu’il avait quitté son travail? Rien que la simple idée de l’avouer à son amie lui tourmentait l’esprit; même elle le prendrait pour un fou. Et il n’était même pas question d’en parler à l’un de ses collègues dont la plupart ignoraient son nom. L’aveugle, le chanteur, ça lui suffisait comme appellation, il n’avait pas besoin de plus si cela lui suffisait pour imposer les distances.

Ce soir il arrive en retard, mais personne n’ose lui relever l’erreur. Parce que personne ne lui parle après tout. Il est silencieux, il mène sa vie en exil. Et à la manière des cendres, un jour le vent l’emportera silencieusement.
Lorsque ses pas pénètrent enfin dans le bâtiment, il se détourne de sa direction initiale pour se poser discrètement au bar. Ses mèches ébènes couvrent ses yeux tandis qu’il commande un bière. “Je suis plus d’humeur à boire aujourd’hui. tu me sers un truc?”Intime-t-il alors qu’il porte le verre à ses lèvres. Sa voix, plus douce que d’ordinaire, disparaît à travers le vacarme environnant la rendant alors uniquement perceptible par lui et son interlocuteur. La mélancolie le gagne, lui arrachant alors un sourire amer alors qu’il repensait à cette semaine mouvementée. Si un monstre avait tenté de lui dévorer le bras, il pouvait aussi geindre sur la souffrance de ne plus être dans l’ignorance; il savait désormais que quelqu’un l’attendait quelque part. Qu’il avait tenté de survivre jusqu'à aujourd’hui pour la revoir. Mais à quoi bon, il ne se souvenait même plus de son visage ou de son nom désormais.

“t’façon je ne peux pas jouer du piano aujourd’hui”. Il déplace alors délicatement sa main sur son épaule couverte de bandages pour accompagner ses paroles.      
Même si l’envie avait été présenté, il se retrouvait dans une impasse. D’ici quelques jours ce problème serait réglé, mais pour le moment il était incapable de mouvoir son bras sans réveiller la douleur.

Sans demander ton reste, tu t'étais exécuté. Répondre aux besoins des autres, c'était définitivement ce que tu faisais de mieux dans cet endroit. Au moins ça compensait ton égoïsme légendaire, t'avais comme l'impression de te racheter une conscience, et même si c'était pas vraiment le cas, tu te complaisais dans l'idée. T'avais pas poser de questions supplémentaires. Après tout, t'étais pas flic, t'étais pas non plus psychologues, et t'allais sûrement pas courir après les problèmes des autres. Malgré tout, tu pourrai te voiler la face autant que tu le voulais, ta curiosité était piquée à vif. Parce que tu ne pensais pas que le musicien était du genre à boire sur son lieu de travail, sans même accomplir celui-ci. Plus il te parlait, plus tu voulais savoir. Ce bandage. Cette blessure. Il s'était passé quelque chose. Ce petit bout d'homme était donc capable de s'attirer des ennuis ? Discret comme il est ? T'étais pas bien convaincu. ▬ Ça a pas dû être bien agréable, peu importe ce que c'était. Tu grimaçais à toutes les idées que tu venais en tête, et puis tu te souvenais que de toute façon, il ne voyait pas. Alors tu te sentis con. C'était un détail, qui pour toi était vraiment insignifiant, mais tu te sentais quand même con d'oublier ce genre de chose aussi vite. Tu t'accouda au comptoir pour être plus proche de lui, ne pas crier par-dessus le bruit ambiant. ▬ Je crois pas que te saouler te remettras en forme, m'enfin … je suis pas là pour juger hein. Tu lui tapota le bras, pour lui faire signe que t'allais servir quelqu'un d'autre, sans te rendre compte que ça pouvait être interprété différemment. Au pire il se rendrait bien compte qu'il parle tout seul si personne ne lui répond. Contre toute attente, tu revins vers lui rapidement, déçu au fond, de son incapacité à jouer. Mais pas question de le dire. Nope. ▬ Tu vas lui servir quoi comme excuse au patron s'il te voit là ?  

“merci.” ses lippes s'entrouvrent avec peine, il hausse avec difficulté sa voix pour faire parvenir ses mots jusqu'à son interlocuteur. D’un geste mécanique il attrape sa boisson avant d’en boire quelques gorgées d’une rapidité déconcertante; depuis quelques jours Faith semble avoir abandonné les luttes psychologique et s’être réfugié dans l’alcool. Ses souvenirs lui ont procuré bien plus de mal que de bien. Il sent son esprit se rompre et peu à peu l’identité d’un autre tente de lui voler une part de lui-même.

Ce soir, comme les autres, il veut embrumer son esprit, perdre sa lucidité encore une fois si cela lui permet de ne pas sombrer - mais au contraire, cela allait accélérer sa chute - l’asiatique a l’habitude de se briser silencieusement, derrière sa carapace de givre insensible, barricade entre fragilité et ses faiblesses, mais l’alcool pouvait faire fondre la glace et mettre à nu ses plaies. Cependant il se stoppe lorsqu’il entend la voix du barman “ça ne changera rien oui. mais ça aide beaucoup. pour oublier.” l’angoisse monte progressivement au rythme de ses gorgées jusqu'à ce qu’il se surprenne bien trop rapidement avec un verre vide à la main.

L’expression désabusée, le réalisme flagrant du plus jeune, il fait battre lourdement de ses paupière avant de lui rétorquer “avant que je ne sois totalement bourré, si ton âme charitable souhaite me sauver de ce mauvais pas, j’ai un plan” une lueur mesquine brille dans ses iris, noyant ses doutes (bien que présent) sous la surface alors qu’il balaye sa main dans sa propre chevelure. “tu n’as qu'à jouer du piano pour moi. tu ne joues pas aussi bien que moi je te rassure, mais tu ferais un excellent substitut.” passant du passif à l’animal, il n’essaie même pas de flatter l’égo de Noxx alors qu’il lui demande de jouer à sa place. mais après tout cela était ce qui faisait le charme du coréen. Son insolence indifférente dans sa manière de parler, son culot qu’il ferait presque passer pour un compliment, son sourire fait enfin apparition tandis qu’il tend son verre. “t’fra qu’un morceau, comme ça tu ne manqueras pas aux autres ivrognes. promis juré. t’men sers une autre?”