I need a drink ( Bleuet)

I need a drink

Les yeux fixés sur l'horloge accroché sur le mur, je regardais l'aiguille des secondes avancées. Je ne cachais pas un bâillement, marque de mon ennui profond face à ma cliente qui me tenait la jambe depuis une heure. Râlant sur les prix exorbitants qu'on lui faisait payer pour enterrer son père. Qu'est ce que j'y pouvais ? Ce n'était pas moi qui fixait ce genre de chose. Elle ne voyait même pas que son monologue était d'un ennui mortel. La politesse voulait que je la laisse parler toute seule. Je soupirai fortement, attirant soudainement son attention.

- Désolé, continuez

L'invitais je d'un signe de la main. Je devais être un peu maso sur les bords, surement.

- Dites le si je vous ennuie

Si vous saviez...Je jetais un regard à l'horloge avant de sourire sans aucune gêne. Il était dix huit heures tout pile, le travail était terminé. Finie.

- Je dois malheureusement mettre fin à cette passionnante discussion Cléo, mais n'hésitez pas à appeler pour un autre rendez vous

Lançais je avec un sourire des plus hypocrites avant de lui demander de payer. Payer à écouter des gens se lamenter. J'avais pas coché la case psychologue en me réveillant pourtant. Enfin bref, je laissai mon bureau en désordre comme d'habitude avant de quitter la boutique. Cette femme m'avait donné mal au crâne et j'avais bien besoin d'un petit remontant. Seul ou avec quelqu'un ? Vu l'heure, il valait mieux être accompagné afin d'éviter de se faire aborder par des sangsues à forte poitrine. Blue, enfin Bleuet mais ça faisait vraiment trop fleur pour moi, me venait en tête et je lui envoyait un message pour lui donner rendez vous dans un café que je savais pas encore trop bondé. Peu importe si il n'était pas libre, il avait intérêt à venir.
Naturellement, après avoir vérifié qu'il y avait pas trop de personnes, j'étais partie m'asseoir à une table tout au fond du café, dans un coin. Vous savez, celle que personne ne veut.  

I need a drink

Assis dans ton canapé, tu observais la télévision sans vraiment y prêter une grande attention. Tu te souviens. Oui, tu te souviens. Glissant un doigt sur une des brûlures, tu frisonnes. Tu te souviens de cette cigarette venant frapper ta peau, alors que les mots en Allemand résonnent dans ta tête. Tu te souviens de la douleur cuisante, de tes hurlements, des coups violents. Tu trembles…Comme un gamin, tu as l’impression d’étouffer, que l’air devient trop oppressant. Puis, il y a cette foutue histoire avec Wade. Se baiser échangé à l’hôpital, le fait que si l’infirmière n’était pas intervenue, vous auriez sûrement terminés nus comme des vers. Tes dents viennent capturer ta lèvre inférieure et tu soupires, caressant toujours du bout des doigts les cicatrices et brûlures nombreuses sur ton corps meurtri. Ton premier souvenir…sérieusement, tu t’en serais bien passé ! Tes paupières se ferment, t’en fais des cauchemars depuis ! Alors que tu te plonges dans tes pensées, ton téléphone sonne, annonçant l’arrivée d’un message. Sursautant au passage, tu pestes en Allemand, approchant du téléphone pour ouvrir le message. Ulli. Un autre Mentaliste, un ami qui te dit de le rejoindre dans un café. Au départ, tu n’es pas fort chaud, écrivant un message de refus, trouvant une excuse bidon. Pourtant, après réflexion, tu effaces ton message pour annoncer simplement que tu arrivais d’ici quelques minutes. Une fois le message envoyé, tu files prendre une douche, enfiler des vêtements potables et tu sors le rejoindre…ça allait te faire du bien.

Une quinzaine de minutes plus tard, tu entres dans le café qui n’est pas spécialement bondé. Directement, ton regard glisse vers le fond de la salle, sachant que ton ami avait les mêmes réflexes que toi…vous n’étiez pas vraiment du genre à vous mêler à la foule ou à chercher un contact physique. Enfin, disons que toi, c’est plus d’autres contacts physiques que tu acceptes, mais ça, valait mieux ne pas trop y penser. Depuis ton réveil tu as quand même couché avec deux mecs, Link et Beanie, sans parler que tu avais failli te retrouver nu avec Wade. Tu avais un sérieux problème avec le sexe ou quoi ? Trouvant ton ami du regard, tu approches de lui, mains dans les poches « Salut Ulli, t’as une sale gueule… » Bon, la tienne ne doit pas être mieux, avouons-le clairement. Posant tes fesses en face de lui, tu ne cherches pas à lui serrer la main, le toucher, ce n’est pas dans tes habitudes, dans vos habitudes.

I need a drink

Je n'aimais pas les gens, et pourtant je les regardaient. Simplement par curiosité ou pour comprendre certaines choses. J'avais remarqué que les femmes étaient beaucoup plus tactiles que les hommes. Qu'elles passaient leur temps à remettre une mèche derrière leur oreille quand elles étaient avec un mec. Et de là où j'étais je trouvais ça très agaçant. On m'avait déjà fait le coup et j'avais simplement demandé si elle avait un problème avec ses cheveux. La jeune femme m'avait regardé comme si j'étais un extra-terrestre avant de disparaître comme elle était venu. J'avais donc noté que c'était une bonne question pour de se débarrasser des indésirables.
Heureusement, là, personne n'était venu me tenir la jambe pendant que j'attendais Blue tranquillement. D'ailleurs, le voilà qui était arrivé. Il ne manquait pas l'occasion pour me complimenter sur ma tronche. La sienne n'était pas mieux. Si j'avais la peau blanche naturellement, là il était quand même un peu pâlot par rapport à d'habitude.

- Tu soignes les gens, moi je les écoutes geindre

Rétorquais je en soupirant. Ce n'était pas que je détestais mon travail mais on aurait pu me filer quelque chose de moins "social". Comme gardien de zoo par exemple. Bien que, la ville était tellement remplie d'énergumène qu'elle était un Zoo à elle toute seule.

- Ta tronche est d'ailleurs pire que la mienne, mauvaise nuit ?

Ca ne devait pas facile de vivre avec son métier et son pouvoir. Il était bien obligé de toucher les autres pour les soigner. Moi, à sa place ça ferait longtemps que je serai parti. Ou passer au service mortuaire tiens. Parce que les morts, ça n'avait plus d'émotions ni de pensées. Quoique, j'avais jamais essayé de toucher un cadavre pour vérifier.

- Qu'est ce que tu veux boire ? Je te l'offre

Demandais je avant de passer commande. Comme il avait eu la gentillesse de venir je pouvais bien lui payer un verre. J'étais aussi curieux de savoir pourquoi il affichait cette tête. En y regardant de plus près, il avait l'air plus perturbé que malade. En le touchant, je l'aurais su en deux secondes mais rien que de penser à tout ce que j'allai devoir supporter j'en avais la nausée.

I need a drink

Tu observes le jeune asiatique, lui annonçant qu’il avait une sale tronche, ne prenant pas de gants. Tu n’en ressens pas l’envie, pas le besoin. Tu es encore perdu dans ton monde, dans tes craintes, dans tes pensées. Tu as besoin de te libérer, de savoir comment échapper à ce souvenir dont tu te serais bien passé. Mais c’est impossible, littéralement, purement. On échappe pas à ce genre d’images, jamais. « Tu aurais dû faire psychologue. » Que tu dis en haussant les épaules, posant tes bras sur la table sans pour autant te rapprocher d’Ulli. Le toucher est hors de question, comme tu sais que c’est pareil de son côté. Votre pouvoir est souvent handicapant, quelque fois avantageux, mais pour toi, il ressemblait plus à une malédiction qu’à quelque chose de bénéfique. Passant une main dans ta nuque, tu tors légèrement celle-ci dans un bruit de craquement alors que tes muscles sont tendus comme pas deux. Tu aimerais juste dormir sans te réveiller en sueur, tremblant, revoyant cette scène encore et encore. Tu ne te souviens que de ça et, malheureusement pour toi, depuis, ça te hante. Tu as oublié l’espace de quelques instants dans les bras de Beanie, mais ça n’avait pas suffi pour que ton esprit s’apaise. « Mauvaise nuit, mauvais tout je dirais…ça va passer, enfin, je l’espère. » Que tu dis dans un léger sourire. Tu lâche ta nuque, te débarrassant de ta veste pour la laisser pendre sur la chaise, cherchant peut-être à étouffer la chaleur du désarroi qui t’oppresse.

« Un Whisky sans glace, le prochain est pour moi. » Que tu dis calmement, croisant les bras sur ta poitrine. Tu ne cesses de bouger, comme anxieux, comme mal à l’aise. Ce n’est pas une nouvelle, tu n’es pas le plus à l’aise en société qui soit, mais disons qu’avec Ulli ce n’est pas pareil. Il est le premier Mentaliste à avoir croisé ton chemin, celui qui forcément, te comprends le mieux à ce niveau-là. « Et toi, dure journée ? T’as dû jouer au psychologue ? J’savais pas que ton job requérait autant de sociologie. » Sourire en coin qui s’affiche sur tes lèvres, tu détournes la conversation vers lui, ne sachant pas vraiment si tu peux entièrement te confier au jeune homme qui te fait face.

I need a drink

Psychologue. Rien que le mot me faisait légèrement grimacer. Avec mon pouvoir en plus ça aurait été l'enfer. Déjà que simplement écouter les autres se plaindre c'était fatiguant je n'osais même pas imaginer si j'avais été payé pour le faire. Non, je ne me voyais absolument pas dans la peau d'un psychologue. A la limite je pouvais écouter Blue, si il avait un truc à me dire. Un truc trop pesant pour sa conscience personnelle. Bien que l'on se ne connaissait pas vraiment. C'était compliqué en même temps vu qu'on ignorait nous même qui on était. Ici, j'étais Ulli le conseiller funéraire mais peut être que dehors j'étais Bob le bricoleur. Enfin, blague à part. J'appréciais simplement Blue parce qu'il avait la même répugnance que moi envers son pouvoir de mentaliste.

- Aish, j'crois que je me serai pendu au bout d'un moment !

Vu que je faisais autre chose, on allait pas me retrouver mort dans mon appartement pour le moment. Mon job ne m'empêchait pas non plus de dormir. Blue, lui par contre, en plus d'afficher la tête d'un mec qui n'avait pas fermé l'oeil, il m'avait l'air bien tendu. Surement les deux choses étaient liés.

- Ah ouais, c'est si mauvais que ça ?

Ca ne faisait qu'attiser encore plus ma curiosité. Que se passait il donc dans la vie de mon interlocuteur pour le rendre dans un tel état ? Je n'étais pas assez expert en matière sociale pour savoir si ça avait un rapport avec une quelconque rencontre. Ou peut être que c'était tout simplement un problème au travail. Un verre lui ferait un plus grand bien et je lui commandais donc son alcool en même temps qu'une bière pour moi.

- Trèèès longue. Y'a des jours où j'ai quasiment personne, et je peux dormir tranquille et des fois y'a une personne chiante qui me tient la jambe pendant des plombes, soit pour pleurer sa perte, soit pour râler après les prix comme aujourd'hui

Une moue contrariée venait s'afficher sur mon visage. Moi non plus, je savais pas que mon travail m’amènerait à devoir supporter ce genre de chose. Si j'avais su, j'aurai fait autre chose. Quoi donc, je savais pas vraiment. En y songeant je n'avais aucun talent spécial. A part bien chanter d'après un asiatique aveugle.

- Mais j'vois pas ce que j'pourrais faire d'autre, j'suis assez limité

Avouais je, même si ce n'était pas Blue qui allait m'aider là dessus.