▬ i don't like beans [flashback]

I'm not a bean.

Il y a peu que Beanie avait ouvert ses yeux dans une chambre d’hôpital, peu de temps qu’il tentait tant bien que mal de se faire à sa nouvelle vie. Une vie sans souvenir, sans trop savoir qui il était, sans même connaître le prénom que ses parents lui avaient donné. Tout ceci était difficile, mais Beanie était heureux, il était heureux de pouvoir sentir le soleil sur sa peau, de pouvoir sentir ses muscles se courbaturer après avoir couru. Beanie était heureux d’être en vie, peu importe les circonstances.

Aujourd’hui encore, à peine deux jours après avoir retrouvé son soi-disant chez lui, Beanie s’apprêtait à aller courir, à aller découvrir la ville qui l’entourait. Il aurait pu se sentir prisonnier de l’endroit, mais il préférait voir ça comme une bénédiction. Après tout, si tous les habitants de cette ville avaient oublié leurs souvenirs, c’est peut-être parce qu’il valait mieux oublier ce qui se trouvait à l’extérieur.

Le souffle court après presque trente minutes de course, le jeune homme prit une direction inédite. Les gens dans la rue l’observaient comme s’il était un étranger mais Beanie n’y prêtait pas vraiment attention. Il observait les bâtiments, mémorisait les rues. Soudain, il eut l’impression d’entendre des gens rire, rire de lui plus précisément. Pourtant il n’y avait personne. L’impression se fit de plus en plus forte et Beanie en oublia d’observer où il mettait les pieds, tant et si bien qu’il se prit le pied gauche dans le pied droit et s’écrasa contre le sol. « Fuck » . Il grogna et se redressa tant bien que mal en frottant son coude qui avait frappé le bitume en premier. Il entendit des rires à nouveau mais cette fois ils étaient bien réels. « Vous voudriez pas m’aider au lieu de vous foutre de ma gueule, non ? »  Beanie était un tantinet énervé, il se savait maladroit, mais qui rirait simplement sans donner aucune aide ?  Le jeune homme était si décontenancé qu’il n’avait aucune idée de la langue qu’il venait de parler. Il se savait bilingue et si ses interlocuteurs n’avaient pas compris un traître mot de ce qu’il avait dit, il était naturel qu’il ne fasse rien d’autre que l’aider, sans doute.

I'm not a bean.

Un nouvel homme débarque, bien plus imposant que le vigile malgré sa stature plus fine. L’homme a du charisme et Beanie sait, sans pouvoir l’expliquer, qu’il est le chef de cet endroit, peut-être même plus encore. C’est un peu comme si c’était inscrit sur son front en lettre capitale. Pourtant il ne lui inspire aucune crainte, il lui semble même amical bien que ses mots soient moqueurs. La première langue qu’il emploie n’en est pas une que Beanie comprends, mais il enchaîne ensuite avec le coréen et cela me fait le sportif. « Ma dignité, peut-être. »  Une réponse d’un ton insolant, mais il l’homme l’a cherché.

La langue change, le ton du patron est condescendant et il fait signe à Beanie de se relever. Celui-ci s’exécute, non sans grogner et reprendre, en anglais cette fois : « Je vous comprends vous savez. Pas la peine de vous foutre de ma gueule, ça arrive à tout le monde de tomber. »  Lui plus régulièrement, il fallait l’avouer mais il était hors de question qu’il l’avoue. Beanie n’avouait de toute façon jamais. Le coureur s’étire, haussant nonchalamment les bras au-dessus de sa tête, il a l’habitude de se blesser. Il ne circule librement que depuis deux jours et il a cessé de compteur les bleus et autres égratignures sur son corps.

Sans trop laisser le temps à ses interlocuteurs de répondre, Beanie avait commencé à observer la devanture de l’endroit devant lequel ils se trouvaient. Ça ne payait pas de mine, mais pour avoir un garde à la porte, ce devait être un lieu assez important. « On est où là au juste ? »  Il se souvenait des rues qu’il avait emprunté pour parvenir jusqu’à ce point, mais il aurait aimé connaître le lieu avec certitude.

I'm not a bean.

L’homme observe Beanie et Beanie se sent de plus en plus mal à l’aise. Il n’a pas l’habitude d’être au centre de l’attention. Il faut dire qu’après seulement deux journées dans cette ville il ne connaît encore personne, alors il serait bien difficile de susciter une quelconque attention. Le propriétaire répète les mots que le blessé vient de prononcer, non sans se moquer de son accent. Cela, étrangement, n’agace pas Beanie, cela le fait sourire et il se surprendrait presque à lâcher un léger rire. « À moi plus qu’à d’autres, sans doute. »  Répond franchement l’empoté en haussant les épaules. Il n’a pas honte de sa maladresse, il n’est même pas certain que ce soit d’origine. Peut-être est-ce parce qu’il a encore des séquelles, allez savoir…

Quelques secondes plus tard, le regard de Beanie est attiré sur l’enseigne de l’établissement qui s’avère être une boîte de nuit. L’Ouput. Ce nom résonne dans l’esprit du jeune homme, comme s’il était un lieu familier, comme s’il était un lieu où Beanie se sentait à l’aise, sauf qu’il n’y a jamais mis les pieds. « Hm  ? »  Fait l’intru avant de se remémorer les derniers mots de son interlocuteur. « Deux jours. »  Une réponse simple puisqu’il est encore intrigué par le fait que le lieu le mette à l’aise, mais Beanie fini par reprendre contenance et se montrer un peu plus bavard. « On m’appelle Beanie. Vous n’embaucheriez pas par hasard ? »  L’homme au bonnet se surprend lui-même de la question. Cherche-t-il du travail ? Il semblerait que son intuition ait tranchée pour lui, sans même réellement lui demander son avis.

I'm not a bean.

L’homme se présente comme étant Rude Ore, un nom que Beanie n’oubliera pas, il en est étrangement convaincu. Ce nom lui semble d’ailleurs étrangement amical mais il n’a pas le loisir de s’attarder sur cet étrange sentiment puisque Rude Ore lui pose une question relative à une potentielle embauche et Beanie ne peut pas manquer cette occasion. Seulement, il ne sait pas trop comment répondre à cette question, il se contente donc de hausser les épaules. « En toute honnêteté, je n’ai aucune idée de ce que je suis sensé vous répondre, je me souviens à peine de mon nom alors… » Et ce n’est même pas son vrai nom, ce n’est qu’un surnom qu’il a reçu puisqu’il n’a pas quitté son bonnet durant tout son séjour à la clinique.

Le patron l’invite alors à le suivre et l’étranger se dit qu’il a peut-être une chance après tout. L’entrée se fait par des escaliers et alors qu’il les descend, des flashs s’imposent au maladroit. Des images d’une vie qui lui semble être la sienne, il y a longtemps. Tout paraît trop grand pour qu’il soit adulte. Beanie a froid, il a peur aussi, pourtant il avance vers le lieu qui semble être la source de son angoisse et s’il a une once d’espoir, elle est bien vite anéantie par le cri de celui qu'il veut être son père. L’enfant manque de tomber, il renverse une pile de papier et alors qu’il s’enfuie, sa vision n’est plus que blancheur éclatante.

Beanie grogne, il se rend compte qu’il a manqué les dernières marches de l’escalier et qu’il est au sol, à nouveau. Lentement il se relève, mais il observe le club comme s’il espérait revoir la pendule, comme s’il s’attendait à ce que la porte du bureau de son père se trouve devant lui à nouveau. Il a le souffle court, le cœur qui palpite et il observe Rude Ore d’un air perdu. Il a l’impression que cela dure de très longues secondes, puis il cligne des yeux, fixe le comptoir derrière lequel des dizaines de bouteilles l’attendent et il tente de reprendre ses esprits. « P… Pardon. Un égarement. » Beanie se sent mal, mais il n’a pas le temps de s’apitoyer sur son propre sort. Il aura largement le temps de cogiter à son passé lorsqu’il sera seul, chez lui, avec les angoisses qui viennent de lui revenir.

I'm not a bean.

Beanie se sent nauséeux, il ne sait pas si c’est à cause de sa chute ou à cause des images qui viennent d’envahir sa mémoire, mais il a cette horrible sensation qu’il pourrait rendre son déjeuner. Il tente pourtant de reprendre le dessus en s’excusant auprès de celui qui sera peut-être son futur patron. « Un souvenir… »  Il murmure, sans prêter grande attention au surnom que Rude Ore vient de lui attribuer et qui lui semble déjà familier. Il s’est souvenu, à peine quelques jours après son éveil. Est-ce un privilège, ou un fardeau ? Le jeune homme n’en sait rien et il ne fait que soupirer avant de remercier le patron de la bière qu’il vient de lui servir.

Quelques gorgées, puis Beanie observe les divers éléments qui compose le bar. « Je vous fait une démonstration ? »  Lance-t-il après une courte réflexion. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il se sent confiant. Il attrape un shaker et y verse tour à tour Chartreuse verte, gin, marasquin et jus de citron vert. Il ajoute quelques glaçons puis referme le shaker avant de le secouer. C’est lorsque l’un des glaçons s’envole en direction du patron que Beanie se rend compte que la confiance est une fausse amie, puisqu’il a ainsi fait une erreur. Il s’excuse brièvement puis reprend, quelques secondes plus tard le maladroit verse le contenu dans un verre. Avant de le tendre à Rude Ore, Beanie prend le temps de découper une fine tranche de citron vert qu’il dépose sur le rebord du récipient. « Et voici un Last Word, je me suis dit que vous apprécieriez un cocktail avec un tel nom. »  Annonce-t-il d’un air amusé, bien qu’il n’ait aucune réelle idée de ce qu’il vient de faire.

I'm not a bean.

S’il est vrai que Beanie a entièrement laisse faire son instinct et qu’il a mis en veille son cerveau le temps de faire ce cocktail, il n’en est pas moins confiant. C’est d’ailleurs étrange puisqu’il a tendance à douter de tout, et surtout de lui-même, depuis qu’il s’est éveillé. Il se sait maladroit, mais aujourd’hui il est à l’aise, sûr de lui. Jusqu’à l’annonce du cocktail il ne sourcille pas, ce n’est qu’une fois qu’il l’a poussé vers le patron qu’il se rend compte de l’étrange regard vide de celui-ci. Rude Ore a gardé le glaçon dans sa main jusqu’à ce qu’il ne soit plus que liquide et il a fixé un point que Beanie ne saurait définir. Il ne l’a pas surveillé, pas vraiment. L’homme paraît soudain vulnérable et si le nouveau s’écoutait, sans doute le prendrait-il dans ses bras. Pourtant il n’en fait rien, il n’en aurait de toute façon pas eu le temps puisque le Lion semble s’éveillait de sa transe.

L’homme goûte, puis il sourit et Beanie ne peut empêcher ses propres lèvres de s’étirer en un rictus qui lui donne l’air tant stupide qu’enfantin. « Je n’ai rien de prévu. » Déclare simplement le nouvel employé en s’accoudant nonchalamment sur le comptoir avant de le tapoter. « Vous devriez terminer le cocktail, un remontant ne fait jamais de mal, il faut croire. » Ajoute Beanie en prenant possession de la bière qui lui avait été offerte quelques minutes plus tôt. Il ne dit rien de plus, bien qu’il sache ce qu’il vient de se passer pour son nouveau patron. Il est d’avis que celui-ci n’est pas du genre à aimer se confier.