bones of ribbons ⤖ ft. nash

À chaque fois, je commence ma soirée en me disant que cette fois, je rentrerai tôt. Quand les autres se mettront à bailler, moi aussi, je regagnerai ma niche pour roupiller, sagement. à chaque fois, c’est ce que je me dis. Et à chaque nuit comme celle-ci, je fais tout à fait le contraire. Voilà que je traîne à nouveau mon triste cul au Red Light, à la recherche de compagnie qui ne serait pas encore endormie, et c’est bien le seul endroit où le trouver. Ce n’est pas la première fois que je fais ça. La première fois, j’étais bien plus gêné. Je ne voulais pas avoir l’air de ces types qui n’étaient pas capables de se trouver une fille sans la payer, bien que ce je fais n’est pas bien différent à bien y penser. La première fois, j’avais l’impression d’arriver là en preux chevalier, à payer une fille rien que pour parler. Maintenant, je me suis remis de mes illusions, je sais bien que je suis tout aussi paumé que les autres hommes arpentant les rues du Red Light, comme dans un buffet. Je ne suis pas là pour trouver le goût du jour, par exemple, je sais déjà qui je vais voir.

Je l’aperçois au loin, au coin de rue où je m’attends à la voir, j’ai l’impression qu’elle me semble encore plus menue et jeune que la dernière fois. Ou mes yeux sont de plus en plus vieux. Je lui envoie la main, écrasant ma cigarette à peine entamée sous ma semelle. Je ne suis pas assez stupide pour avoir amené mon blouson des cobras ici à cette heure, même si c’est d’avec eux que je reviens. Affublé d’un bien moins voyant blouson de cuir brun élimé par-dessus un t-shirt et un pantalon noir, j’ai l’air d’un peu n’importe qui. J’espère qu’elle me reconnaît. Ce serait insultant de penser que j’ai un visage que l’on oublie. J’accélère le pas pour aller la rejoindre avant que quelqu’un d’autre ne saute sur l’occasion. « Hey », dis-je, grand poète que je suis. Je lui souris de manière avenante avant de continuer. « Je suis en train de désaoûler et c’est vraiment pas un processus que je veux entreprendre seul. Pizza? » Évidemment, c’est moi qui paie, et pas juste la pizza, son temps aussi. Mais c’est mieux que de me terrer seul chez moi, en sentant la douleur et la gueule de bois me guetter. Je préfère de loin continuer ce petit rituel de malbouffe très cher payée que j’entretiens avec Naštya, où elle fait probablement un peu semblant d’apprécier ma compagnie, pas trop j’ose parfois espérer, juste assez pour me faire passer une bonne fin de soirée avant de tomber mort de fatigue.

Tu fermes les yeux un moment pour laisser la brise estivale caresser ton faciès. Les nuits sont un peu plus chaudes, depuis quelques jours. Tu as pu troquer ton manteau pour une légère veste en tricot qui, ce soit, contraste avec la noirceur ambiante. C’est peut-être parce que tu fais le trottoir, que tu as envie qu’on te remarque pour que cette soirée passe le plus rapidement possible, ou bien parce que ton excentrisme est à son paroxysme ce soir. Tu n’arrives toutefois pas à poser le doigt sur la vraie raison. Tu relèves la tête pour examiner le ciel, pour une fois vide de nuages. Ce dôme, jusqu’où s’étend-t-il? Êtes-vous vraiment confiné à cet endroit pour toujours, où y a-t-il un moyen de s’en sortir? Tu n’as jamais osé en faire l’expérience. Avec les rumeurs qui courent, tu as en rapidement été dissuadé. Ce dôme n’est pas normal, tu en es consciente. Ce monde dans lequel vous vivez, ce Varakes qu’on tente de vous faire avaler. Rien de tout ceci n’est normal. Seule en plein cœur de la nuit, tu as le temps d’observer, de penser à toute sorte de choses. Tu as le temps de te faire des théories et de les élucider toi-même. Le temps, il passe si lentement.

Ce sont des bruits de pas qui te tirent de ta contemplation. Tu baisses la tête et poses tes prunelles sombres sur le jeune homme qui s’avance vers toi. Tu es quelque peu surprise. Tu ne pensais pas le revoir, non. Votre première rencontre était plutôt… particulière. Tu n’as pas l’habitude qu’on paie pour tes services sans devoir coucher avec la personne en question. Avec lui, c’est différent. Il te paie pour ta compagnie, sans aucune arrière-pensée. Il faut croire que tu as fait bonne impression s’il revient vers toi. Tu lui offres un doux sourire et t’avances vers lui, penchant la tête sur le côté. « Hé bien, tu es venu voir la bonne personne pour ça, Mustang. » Ta douce voix résonne dans la rue déserte. Tu t’avances un peu plus pour venir glisser ton bras sous le sien, lui indiquant ainsi que tu acceptes avec joie sa proposition. En toute honnêteté, tu préfères largement passer du temps avec lui que d’attendre que le premier venu veuille de tes services. « Même endroit que la dernière fois, si je ne m’abuse? » Tu préfères le lui demander. Peut-être a-t-il envie d’aller ailleurs, cette fois. Des pizzérias, à Varakes, y’en a pas des tonnes, mais vous avez tout de même beaucoup de choix.

C’est avec beaucoup de politesse que la jeune femme me répond, jouant très bien son rôle. Il est vrai que je ne suis pas le pire sur lequel elle aurait pu tomber ce soir. De simplement manger une pizza en riant à mes blagues doit lui laisser pas mal moins de courbatures que ce que les autres lui demandaient. En plus, malgré la petite effluve d’alcool se dégageant de moi et de mes vêtements, je cache bien le taux d'alcoolémie actuel de mon sang. Il semblerait que je sois bon à paraître sobre.  Je ne sais pas trop d’où ça me vient et je n’ai pas vraiment envie de savoir, quelque chose me dit que l’explication de ce talent n’a rien de glorieux. Je la laisse volontiers glisser son bras sous le mien. Nous avons l’air de deux joyeux lurons à la recherche de nourriture graisseuse passé 3h du matin. Bien sûr, tout le monde se doutera probablement que je paye pour sa compagnie, elle est bien trop jolie et jeune pour passer la soirée avec moi, de plus je n’ai pas l’air si riche. Rend où j’en suis, je préfère cela à la solitude.  « Exactement! », répond-je avec enthousiasme lorsqu’elle me propose d’aller au même endroit que la dernière fois. Ce n’était pas si mal. Je ne suis pas difficile à cette heure-là de toute façon. Je commence à marcher d’un pas allant, bien que je sens la fatigue traîner dans mes jambes. Pas tout de suite, la soirée n’est pas terminée. Nous n’étions pas allés bien loin la dernière fois, de toute façon. Je prends sur moi de faire la conversation sur le chemin, me demandant franchement si elle me répondrait des platitudes ou si elle comptait vraiment me faire part de détail de sa vie.« Ça fait un bail! Qu’est-ce qu’il y a de neuf avec toi? » Dans les faits, je ne lui en tiendrais pas rigueur si jamais elle voulait garder ce genre d’information pour elle. Je ne suis pas vraiment enclin à livrer toute la vérité non plus, on s’entend. C’est en disant cela que j’aperçois au lien l’enseigne au néon de la pizzeria, heureusement ouverte à ces heures indues. Je me demande alors si Naštya aime vraiment la pizza… Quelle question, tout le monde aime la pizza. Je devrais arrêter de remettre en question toutes ses paroles et actions simplement à cause de son travail. Ce n’est clairement pas facile pour tout le monde à Varakes. C’est d’ailleurs cela qui m’avait motivé à rejoindre les cobras. Lorsque je vois Naštya, j’ai l’impression de ne pas en faire assez. Cet argent facile ne la sauvera pas, et elle n’a peut-être même pas envie d’être sauvée… C’est un peu stupide, de présumer ce qu’elle veut, mais tout de même… J’aurais aimé pouvoir en faire plus pour les gens comme elle.