(rafora) the broken, the beaten and the damned.

Parmi les damnés et miséreux, je déambule, saisi devant la mission qui m'attend. Ce n'est pas leur apparence, ni même la couleur de leur âme qui m'attriste, non. Il y a seulement tant à faire sans savoir par où commencer. Lorsqu'un vieillard manque de s'écrouler, je le force à s'asseoir et lis la peur dans son regard. Il fixe ma broche, pétrifié par mon costume. Je lui offre un sourire et lui retire les guenilles qui lui servent de pantoufles, trouées pour prendre une bassine d'eau et lui laver ses pieds. Je finis par lui donner chaussettes et chaussures, prenant soin de lui mettre correctement. « Dieu est grand, Dieu est bon mon ami. Profite de cette chance, je n'en suis que le messager. » Je me relève et commence à marcher en chantonnant. J'ignore la saleté du sol parce qu'elle n'atteindra jamais le soldat de Dieu. J'ignore la douleur, parce que Dieu est avec moi et me protège. Seule l'heure m'alarme. J'aurais tant aimé rester un peu plus, et ramener plus de personnes. Demain, demain Dieu leur permettra d'embrasser pleinement leur seconde chance en rejoignant ses rangs. Je pousse les lourdes portes de l'église. La sensation du marbre froid m'arrache quelques frissons, alors que je lave mes mains soigneusement. Aujourd'hui, il n'y a pas de sermon, seulement les confessions. Ce qui était probablement le pire. J'ignorais s'il s'agissait ici d'une bonne ou mauvaise chose. Il ne pouvait y avoir repentance seulement s'il y avait sincérité. Ce n'était pas une ardoise à rendre vierge pour mieux la salir pendant la semaine. Un thon pourri, aussi écaillé et appétissant que possible, n'en demeurait pas moins indigeste et dangereux. Je souffle et continue à marcher dans l'église, pieds nus et m'assois. « Pardonnez les égarés. Je demande pas grand chose, permettez moi d'endurer leurs offenses. » Les yeux fermés, à genoux, j'entrouvre un oeil et me reprends. Ce n'était pas toujours évident de servir de secrétaire de Dieu. « Oh et ça serait fichtrement cool si le nudiste pouvait rester chez lui aujourd'hui. » Mes oreilles saignaient à l'idée de l'entendre crier à quel point l'apocalypse était proche. Alors que je prends appui sur le banc pour me relever, une écharde se plante dans mon index alors que je lève les yeux au ciel. « Oui, j'ai compris. » J'arrache le bout de bois et tire la langue sur le côté, concentré comme si la survie de l'humanité en dépendait. Tellement concentré que le bruit des lourdes portes de l'église n'attirent pas mon attention. Il n'y a que cette lumière qui capture mon regard alors qu'une silhouette se distingue du flot d'éclat. Je déglutis alors que mes yeux plissés découvrent une chevelure noire, une allure féminine. Rien que pour l'avoir remarquée, le sel et le sang couleraient sur mon dos ce soir.

Quelques heures te séparent encore de tes obligations si tu tiens à conserver un toit sur ta tête, un poids qui te pèse et il t'arrive trop souvent de te demander pourquoi tu ne fais pas que changer d'emploi. Celui que tu détenais à ton réveil dans cette infirmerie en février n'est pas forcément celui que tu te dois d'occuper jusqu'à la fin de tes jours, n'est-ce pas ? Sauf que tu ne crois pas que cela soit si simple. Si c'est le job que tu occupes, c'est que tu as une mission à remplir à travers celui-ci, quelle qu'elle soit. Tu te rends toujours au même endroit dans un rythme quotidien, toujours dans les mêmes heures et sans vraiment ouvrir la bouche puisque tu n'es pas portée sur la confession via une tierce personne. Peut-être un défaut qui te vient de ton don, un manque d'intérêt à devoir partager tes propres secrets inadéquats avec une autre personne. Toi, tu t'adresses directement à ce bon Dieu qui veille sur vous par le traditionnel média de la prière. C'est d'un pas habitué que tu pousses l'une des grandes portes de l'impressionnant bâtiment afin d'entrer dans ce lieux sacré où tu cherches à donner raison à ton existence. Des vêtements sobres couvrent ta forme pour l'instant, du tissu qui trouvera un échange drastique d'ici peu lorsque tu devras fricoter avec les dangers de la nuit, que tu devras faire abstraction de la broche qui décore ta poitrine avec une profonde fierté. La porte se referme dans ton dos, ton attention capta l'absence de solitude lorsque tu poses le regard sur une personne que tu connais sans connaître. Les adeptes de votre religion ne sont pas aussi abondants que l'on pourrait croire, par moment, tout le monde finit par prendre connaissance d'autrui un minimum. D'un geste léger, tu hoches la tête en signe de reconnaissance avant de poursuivre ton chemin habituel et trouver compagnie devant la statue de marbre qui participe à la décoration luxueuse des lieux. Il te faut quelques secondes avant de lever les yeux vers le plafond en remontant tes lunettes sur ton nez et t'adresser à la seule autre personne présente. « Je peux pratiquement vous entendre réfléchir d'où je suis. » Une manière simple de parler puisque ton pouvoir ne fonctionne heureusement pas ainsi, sinon tu te serais probablement pendue dès les premières heures dans cette étrange ville.

L'église se fait bien vide. La foi commence à se perdre et j'ai le goût amer de l'échec sur le palais qui me guette. La mission qu'Il m'avait confié était rude mais possible et je devais tout faire pour qu'elle le reste, et éviter qu'elle ne devient plausible, pour finir impossible. Je ne demandais pas à que tous viennent déambuler sur le marbre de l'église, goûter à sa fraîcheur et se laisser pénétrer par la présence divine. Non, je voulais seulement que nous nous montrions tous digne de ses desseins, et de la chance qu'il nous donnait en s'évertuant à accomplir des actions qui ne pouvaient attirer que le bien, pour tous. A genoux, en pleine prière, et seul, j'aimais parler avec le Créateur. J'aimais recevoir ses signes, et ses réponses. J'aimais sentir sa présence et savoir qu'il avait son oreille tendue pour son messager. Je me mis penser à l'homme, espérant de tout coeur qu'il ferait bon usage de mes chaussures pour marcher vers des lendemains meilleurs. Je commençais à connaître les fidèles, sans avoir eu l'opportunité de leur parler. Nous avions tous nos vies, et si je restais statique entre les murs de l'église, peut-être aurais-je eu l'occasion de partager ma foi avec tous. Non, je préférais prêcher à l'extérieur. La facilité, ce n'était bon que pour les prêtres fainéants. J'en soupçonnais plusieurs de se complaire dans le faste des lieux. Comment les blâmer ? L'église respire la splendeur mais frôle la magnificence lorsque les portes s'ouvrent et que l'amas de lumière dévoile l'inconnue, vêtue sobrement, de noir. J'esquisse un sourire sincère et reste à une distance convenable. « Je voulais pas perturber tes prières, pardonne-moi mon enfant. » Lorsque mes yeux se posent sur sa broche, mes lèvres s'élargissent alors que je me rapproche un peu plus. « Je t'ai déjà vue, non ? Enfin, tu viens souvent non ? Je, hm.. Je te laisse prier en paix. » Je me racle légèrement la gorge et secoue la tête. « Si tu as besoin de quoique ce soit, je serai pas loin. » Je finis par retourner à mes occupations, arrosant les fleurs sur l'autel de prière et les réarrangeant avant de m'incliner sobrement et de commencer à prier avec ferveur.

Malgré ta bonne volonté de faire tes propres petites affaires et mener ton quotidien à bien, tu as la vive impression d'être devenue un point d'intérêt. T'es bien contente que ton pouvoir ne fonctionne qu'avec un contact physique, sinon tu crains que tu suffoquerais par les kilomètres qu'on l'air de parcourir les méninges du jeune homme. Tu ne te gênes pas pour le faire remarquer, tentant toutefois de faire mielleusement passer ton commentaire, chose qui semble réussir. Tu esquisses un sourire à sa réponse, hochant doucement la tête en bonne enfant de chœur en glissant les doigts dans tes cheveux afin de les passer derrière ton oreille. Suivant son regard, tu le portes au niveau de ta broche qui à l'air de susciter un vif intérêt chez sa personne qui se lance dans une conversation non-réclamée, mais contre laquelle tu ne te plains pas. « Je viens pratiquement tous les jours. Si je ne suis pas passée, c'est qu'un malheureux empêchement s'est dressé dans ma journée. » Tu tentes de réprimer la moue qui tire tes traits lorsqu'il cherche à te laisser en paix avec toi-même. Il t'est impossible de nier que tu n'apprécies pas lorsque l'on te donne de l'attention, d'où l'expression un peu déçue qui vient s'ancrer sur ton visage en l'observant retourner à ses occupations. Tu lèves le regard vers le visage de la statue devant toi, cette représentation divine taillée dans le marbre qui te surplombe sans difficulté même lorsque tu n'es pas à genoux. Même vos messagers se doivent d'être testés, n'est-ce pas ? Tes doigts se portent vers la broche qui décore fièrement ta poitrine, la caressant avec douceur, puis tu tournes la tête en direction du prêtre présent dans ce lieu béni. Te relevant, tu lisses le moindre pli qui aurait pu se former dans le tissu de ta robe et te diriges vers sa forme priante, ta venue annoncée par le claquement de tes talons contre le sol impeccable. « Rafe, c'est ça ? Vous semblez être celui qui passe le plus de temps ici, ce qui doit être normal considérant que c'est votre occupation. » Tu te rends compte que ton raisonnement se fait un peu con à mesure que tu laisses aller tes paroles, fronçant un peu les sourcils vers la fin. Brisant cette soudaine dureté dans tes traits par un sourire, tu inclines la tête vers la droite dans un geste de grande innocence. « Il est malheureux qu'on ne se soit pas vraiment croisé plus tôt. Moi, c'est Pandora. » Et sur ce, tu tends une main délicate dans sa direction, ta mission ne faisant que débuter.

L'inconnue savait faire son entrée, comme accompagnée par une grâce presque divine, elle avait su me couper le souffle. Je ne l'avais jamais vue, bien trop occupé à aller prêcher hors des sentiers battus, hors du marbre frais et des apparats de la grande Providence. Comme une irrépressible envie, ou besoin, je voulais la connaître. Sa broche resplendissait, et j'étais soulagé de voir une fidèle aussi dévouée. Mon sourire s'élargit lorsque ses mots confortent mes pensées. Que ce n'était qu'à cause d'un empêchement sérieux qu'elle pouvait se retrouver privée de prière. Pauvre fidèle, Varakes ne te méritait pas. J'acquiesce, allant jusqu'à prendre une moue surprise, dissimulant aussi bien l'émerveillement que le fait que je sois impressionné. « Tu te portes digne de notre Seconde Chance, alors. Si seulement il pouvait y en avoir plus comme toi. Enfin, de croyants comme toi. » Je bafouille et décide de la laisser prier en paix, plutôt que de venir troubler ses prières qui semblent viscérales, vitales même pour la jeune croyante. Concentré sur ma tâche, j'en oublie le bruit des talons qui claquent avec délicatesse, jusqu'à ce que sa voix s'envole et me ramène parmi elle. Je me relève lentement et pose mon regard à nouveau sur elle. Je me demande alors comment elle peut connaître mon prénom, ou surnom, qu'en sais-je. Sa remarque m'amuse alors que j'écarte mes bras, mains tendues en souriant. « On peut bien trouver quelques loups dans une bergerie, pourquoi pas un prêtre dans une église ? » Je lui offre un regard mutin avant de redevenir un peu plus sérieux. « Pour te donner raison, je ne suis pas autant ici que les autres prêtres. Je préfère le terrain, y'a tant à faire. » Je lève les yeux au ciel sincèrement, comme un enfant cherchant l'approbation du Père. Je redescends mes iris sur la jeune femme en noir et gratte la cicatrice au coin de mon oeil. Elle penche la tête, j'arque un sourcil et me tourne maladroitement avant de lui faire à nouveau face, pour découvrir une main tendue. « Ravi de te connaître Pandora, et pour te donner encore raison, je suis bien Rafe. » Je saisis alors sa main, aussi délicatement que possible, horrifié à l'idée de la lui briser dans un excès de force. Bouclier ou arme de Dieu, je n'en demeurais pas moins un prêtre qui devait faire attention à son prochain. La première étape était de ne pas lui fracturer sa main frêle, dans ma large main. « Depuis quand tu es ici, Pandora ? » J'arbore un large sourire franc, impatient d'en savoir plus sur un tel mystère. Je fixe encore sa broche, satisfait. J'en oubliais son emplacement, subjugué par ce symbole qui nous liait.

Tu es arrivée à Varakes avec une mission bien définie et à laquelle tu ne comptes défaillir. T'assurer de la validité de la seconde chance offerte à ces gens est ton devoir sur lequel tu ne peux cracher si tu désires aspirer au confort après la mort. À son annonce, tu esquisses un sourire de fierté, flattée que l'on reconnaisse ta dévotion envers ton église et tes croyances. Ta foi est inébranlable. Laissée à tes prières, tu fais dans le rapide afin de retourner vers le prêtre dans une optique dessinée par votre Dieu lui-même. « Vous avez bien raison. » Il te faut d'abord juger un tant soit peu le caractère de l'individu afin de mieux le cerner pour tester sa foi au maximum. Ça ne veut pas dire que tu ne prêtes pas un réel intérêt a ses propos, ne pouvant qu’acquiescer de la tête à ses paroles. « Il y a plus d'une âme à sauver dehors. Des ignorants encore dans le noir qui ont besoin d'être dirigés vers le droit chemin. » Une bonne fille qui prêche les bons gestes, juste avant que tu ne sois obligée de retourner vendre ton corps comme boulot pour te faire vivre. Une présentation s'impose, conclue par une poignée de main naturelle dans laquelle tu enregistres officiellement son identité. Ce dont il ne se doute pas, c'est que tu utilises ce rapide contact physique pour fouiller ce qui se passe dans son esprit sans pour autant avoir le temps nécessaire pour dénicher quoique ce soit de croustillant si ce n'est qu'une image rapide d'un fouet. « Depuis février. Le temps passe vite sans même que l'on ne le voit défiler. » Une triste réalité, tu as cette impression d'être débarquée la veille tout en connaissant les rues de cette ville comme le fond de ta poche pour les avoir arpenter le plus souvent possible en plein jour. Tu n'es pas une abrutie qui risque sa peau la nuit malgré ton boulot qui te force à te glisser dans l'ombre et espérer que Dieu saura te protéger de ce qui rôde. « Et vous ? » Plus tu pourras en apprendre, mieux ce sera. Que ce soit pour nourrir un intérêt personnel ou pour alimenter les possibilités d'examen à son égard.

Il y avait tant à faire et, pourtant les journées étaient si courtes. Je tâchais de m’investir partout où les bonnes actions devaient être prêchées, quitte à me heurter à un public hostile. Ils ne pouvaient pas être indéfiniment contre la Foi, et Son Amour. Ils ne pouvaient pas pour toujours nier l’évidence et se satisfaire de l’ignorance. Non, telle était ma mission et celle des autres prêtres. Prêcher, écouter, aimer. Il n’y avait que par l’amour et la paix qu’il était possible de ramener tout le monde dans un chemin convenable. Je tolérais certains de leurs vices et imperfections, car nous n’étions que des hommes. Sans leurs défauts et leur tentation à la corruption, je ne servirais à rien d’autre, si ce n’est arroser les plantes de l’Eglise.  La jeune femme aux cheveux ébène acquiesce et je suis ravi par sa vision des choses. Je ne peux m’empêcher de sourire à nouveau, sentant mon cœur louper un battement, à croire qu’elle pouvait entendre mes pensées. Je joins mes mains et la soutiens du regard, les yeux illuminés par ses paroles. « Mais oui ! Si seulement ils pouvaient tous nous entendre.  » Je passe une main derrière ma nuque et me reprends. « Parfois les mots ne suffisent pas. J’espère que mes chaussures pourront guider cet homme vers le bon chemin, loin de la misère et des corruptions. » Je lui tends alors naturellement ma main, préoccupé à l’idée de la lui briser seulement et continue à afficher un sourire béat. J’étais heureux de voir une croyante aussi fidèle et engagée, et surtout, qui partageait ma vision des choses. Le rôle de l’Eglise était de sauver les égarés, de les forcer à accepter cette seconde chance en leur indiquant le bon chemin à suivre pour s’en montrer digne. Intrigué et déterminé à l’idée d’en savoir plus, j’ose l’empêcher de prier pour tenter de la connaître un peu mieux. Pandora, grand mystère, fascinante par sa seule démarche. Absorbé par ses paroles, j’hoche la tête lentement. Le temps passait bien trop vite, le monde tournait bien trop vite et les journées étaient bien trop courtes. « Avec des journées bien remplies, je veux bien te croire mais Dieu t’en sera reconnaissant. Tu encourages le bien, et je ne peux être que.. impressionné. Enfin, non, mais, merci. Pour ton dévouement. » Je racle ma gorge et bafouille encore un peu, évite son regard un court instant. Je joue nerveusement avec la manche de ma toge, ne comprenant pas pourquoi est-ce que j’étais dans cet état-là. Peut-être était-ce elle, je l’ignorais. Je relève brusquement la tête vers elle avant de lui sourire à nouveau, radoucissant mes traits. « Depuis décembre, mais j’ai commencé à officier qu’en janvier. » Léger sourire gêné au coin des lèvres, je fixe à nouveau sa broche avant de regarder la mienne. « Dieu m’a sauvé au coin d’une rue, j’ai décidé de lui vouer la mienne pour être son messager. » Et Lui-même connaissait l’ampleur de la tâche confiée, mais je l’avais acceptée et je ne pouvais que m’en montrer digne, malgré les peines, malgré les marques sur mon dos. Il m’avait sauvé, c’était la moindre des choses que je pouvais pour lui. Et quel bonheur de voir des fidèles comme Pandora, je sentais mon cœur battre, comme jamais il n’avait battu jusqu’alors. Peut-être pouvais-je être prêtre et heureux et que tout n’était pas incompatible.

Il est bien de savoir que tu n'es pas seule à vouloir le bien des autres habitants de Varakes malgré tes actions qui laissent souvent croire que ce n'est pas le cas. Tu n'es que la représentation d'un des nombreux tests que l'on doit traverser avant de pouvoir accéder au repos éternel auprès de ceux vous ayant déjà quittés. « Vos chaussures ? » Tu ne crois pas avoir raté un morceau de la conversation, alors ton questionnement est tout à fait normal même si tu parvenir à te former une certaine idée de ce dont il puisse parler. Tu souris sincèrement à son afflux de compliments, ravie que l'on prenne le temps de souligner tes efforts malgré le fait qu'il est aveugle à l'étendu de ton implication. « Il m'arrive trop souvent d'avoir l'impression de ne pas en faire assez. » Là où tu es le calme incarné, lui semble plutôt agité : un point qui n'échappe pas à ton œil féminin même si tu te retiens d'en souligner l'existence. Tu n'as pas envie de le mettre en mauvaise posture et qu'il décide de refermer toute ouverture dans votre conversation. À sa réponse quant à son arrivée, tu hoches la tête en signe que tu écoutes ce qu'il peut bien raconter avant de passer une main qui ramène une mèche de cheveux derrière ton oreille. « Il veille sur nous à tout instant. » Dans un soudain inconfort, tu fronces les sourcils tandis que tu te souviens d'une scène qui ne vient pas de cette ville, de cette seconde vie. Un souvenir de celle précédente qui te fait lever une main afin de la porter à ton collier de perles. Tu déglutis, sentant un mélange d'émotions vibrer sous ta peau pour ne laisser que le dégoût lorsque tu reprends tes esprits. Tes paupières clignent à plusieurs reprises, désemparés par cette réalisation que ta vie d'objet ne date pas de ton arrivée en ces lieux de protection divine. Dans la vaine confusion apportée par le reflux de mémoire, tu recules de quelques pas, heurtant malencontreusement une petite colonne sur lequel reposait quelques cierges se retrouvant envoyés au sol. Un sursaut secoue ton corps, le regard se dirigeant aussitôt vers les dégâts et tes doigts se cramponnent un peu plus à ce collier qui décore ton cou délicat. « Oh non, toutes mes excuses. J'ignore ce qui m'a prise, je vais ramasser. » Tu te confonds en excuses muettes, un peu soulagée qu'ils n'étaient pas allumés et tu fais de ton mieux pour réparer les dégâts. Il faut toutefois croire que ce souvenir à de quoi te choquer puisque tu trembles à un point tel que le cierge que tu tiens te glisse des doigts et tu te dis que tu dois avoir l'air terriblement bête.

Plus je prenais le temps d'échanger avec les fidèles et croyants, plus j'avais l'impression de pouvoir compter sur eux et sur leur amour de Dieu pour étendre la bonne parole et les bonnes actions dans la ville de Varakes. Séduit par un constat un peu trop facile voire simpliste, je m'y engouffrais. J'ignorais les nuances, les contrastes et les zones d'ombres, pour finalement me satisfaire seulement de ce que mes yeux pouvaient voir. Et Il savait à quel point je ne voyais pas grand chose. Je repense à l'homme, à qui j'ai laissé mes chaussures en espérant que des chaussures de prêtres pourront au moins le faire réfléchir à retourner vers la droiture et la bonté. J'esquisse un sourire, émets un léger rire et hausse les épaules. « Si l'homme ne va pas à l'Eglise, elle viendra à lui. Je lui ai laissé mes chaussures, parce qu'il n'en avait pas mais j'espère aussi le convaincre de retrouver la piété. » Mes paroles n'avaient du sens que pour Lui et moi, ce qui m'amusa sur le coup. « Non, rien, je m'égare. » Je finis par conclure, les pommettes légèrement teintées alors que mon regard se pose sur le plafond et que j'arbore un large sourire mutin. Pandora attrape mon attention dès qu'elle entrouvre ses lèvres et émet le moindre son. Ses paroles sont réconfortantes et je ne pouvais qu'acquiescer. « Il nous protège, par Sa force ou celle qu'Il nous donne, et le courage qu'Il nous insuffle. » Il m'avait sauvé, et je ne pouvais que m'efforcer de me montrer digne de Lui et de Son action à mon égard. Large sourire confiant accroché aux lèvres, mes yeux se posent sur Pandora un court instant, alors que je n'entends plus sa voix. Ses paupières clignent et me forcent à l'inquiétude, marquée par mes sourcils froncés. Sa main était posée sur son collier de perles, alors que je fais un pas en sa direction. Cette dernière recule et je me ravise. La petite colonne se renverse, elle se heurte, les cierges tombent. Chaque impact au sol résonne dans l'Eglise, changeant un simple écho, en véritable fracas. Je me précipite alors, lui faisant signe de ne pas bouger. « Ce n'est rien. Tant que tu n'es pas blessée, tout va bien. C'est que de la cire. » Je ramasse les objets à ses pieds et replace correctement la colonne. Le cierge que la jeune croyante tenait entre ses mains finit par s'échouer au sol, bien qu'il prit le soin de rencontrer ma tête en chemin. Une fois les dégâts minimes réparés, je m'empare de ses mains frêles et tremblantes et la guide vers le premier banc, lui imposant de s'asseoir. « Est-ce que ça va ? » Je finis par relâcher ses mains, tout en la soutenant du regard. Je partis en courant au fond de la chapelle, attrapant un verre et une bouteille d'eau. Je le lui servis avant de lui tendre en offrant un sourire qui se voulait réconfortant. Je peinais à dissimuler mon désarroi, désemparé à l'idée qu'une fidèle aussi croyante puisse se sentir mal.

Par Dieu, tu ne sais pas ce que tu as pu faire de mal pour te mériter l'affabulation d'un souvenir de ce que tu as déjà été. De ce que tu peux en déduire, tu n'as pas connu un sort plus favorable dans ta première vie, ayant été une sorte d'objet pour un époux que tu n'as pu reconnaître. Ces perles à ton cou te brûlent presque la peau tant tu es dégoûtée par l'idée que tu n'étais pas maître de toi-même, que tu aies pu te laisser dominer contre ton gré. Qui tu as pu être te dégoûte soudainement, te donnant envie de prendre la fuite dans un instinct naturel même si tu ne fais que renverser une colonne supportant quelques cierges éteint. Tout en essayant de ne pas te laisser trop emporter, tu tentes de réparer ton erreur si ce n'est pas franchement un grand succès. Dieu te teste. Il veut savoir si tu es digne de cette seconde chance, si tu va accomplir de meilleurs objectifs. Tu pries intérieurement, réaffirmant ton désir d'affirmer le mérite d'autrui dans cet endroit. Tout comme Karma. C'est pour ça que vous êtes là, au nombre final de quatre dans un dessein similaire. Un peu comme les quatre chevaliers de l'apocalypse, mais dans une prélude plus optimiste pour ceux qui croiseront votre chemin. « Il va être fâché si je ne sais pas où je place les pieds. » Parce que tu es convaincue que votre Dieu attend mieux de ta part, qu'Il soit à l'affût de tes moindres gestes dans un constat continuel que tu as compris pourquoi tu es à Varakes. Pourtant, dans le feu du moment présent, tu n'arrives pas même à ramasser un seul cierge et Rafe finit la tâche tout seul pour ensuite prendre tes mains dans les siennes. Te faisant guider vers le premier banc, tu es prise d'embarras. Tu es plus forte que ça, n'ayant pas besoin que l'on te prenne avec des pincettes comme une enfant. À sa question, tu hoches la tête positivement. « Un mauvais souvenir, rien de plus. Je vais bien, merci. » Désirant balayer cela de ta mémoire, tu évites toutefois le regard du prêtre en remerciant le ciel lorsqu'il te fausse compagnie. Un soulagement qui est de courte durée puisque celui-ci revient dans les plus bref délais avec de l'eau, t'offrant un verre devant un sourire rassurant. Pâlement, tu exprimes un sourire en réponse et tend la main afin de t'emparer de l'eau, en prenant une gorgée pour lui faire plaisir puisque tu n'as pas soif. « Ce n'est probablement qu'un peu de fatigue accumulée. Vous savez ce que ça fait. » Un mince rire cherchant à sa teintée d'une fausse honnêteté traverse tes lèvres.

C'était la première fois que je voyais la manifestation d'un souvenir chez quelqu'un. J'en avais entendu parler, longuement et je n'avais jamais su comment l'interpréter. Était-ce un dysfonctionnement ? Si oui, de quoi ? Je ne pouvais croire notre Dieu imparfait. Il était l'Omniscience, la perfection et ne saurait être entâché du moindre défaut ou perversion. Non, je ne pouvais pas le concéder. J'étais inquiet, à la fois pour Pandora mais aussi pour le message que cela pouvait porter. Peut-être Pandora avait-elle mérité de voir ce à quoi elle avait échappé. Ou alors, peut-être que Pandora ne s'était montré assez digne de lui et s'était vue infliger un souvenir du passé, en guise d'avertissement. Je m'estimais encore heureux de ne pas avoir été frappé, pensant que j'étais encore dans Ses bonnes grâces. Mais je ne perdais rien pour attendre, Ses desseins n'avaient pas encore éclos. Inquiet pour ce que je pensais être quelque chose de grave, je n'avais pas réfléchi, laissant mes instincts me guider à l'égard de Pandora. J'étais encore frappé par son entrée, à la fois mystique et presque mythique, enchanteresse et pourtant si réelle. Les battements de mon coeur se faisaient étrangement plus forts en sa compagnie, comme s'ils cherchaient à se faire entendre par ses oreilles, alors que je ne connaissais rien d'elle, si ce n'était son prénom et notre foi commune. Elle me poussait à la fascination, et je craignais de dépasser une certaine limite. Mes pensées furent vite chassées par le visage pâle de Pandora. « Il sera réellement fâché si personne n'est là pour te guider. » Je souris affectueusement, tâchant d'être rassurant à défaut d'être rassuré. Je m'empresse de remettre l'endroit en propreté immaculée, où le plus riche des croyants accepterait d'y apposer ses lèvres. Lorsque je saisis ses mains, je ne remarque pas son embarras, ni même que ce n'est pas une chose qu'elle souhaite. J'étais bien trop pris dans l'urgence pour remarquer quoique ce soit. Lorsque je lui reviens, je m'installe à ses côtés et l'observe longuement, sans me rendre compte de la plausible insistance, ni de la possible gêne. Je continuais à chercher son regard, à inscrire ses traits dans les tréfonds de ma mémoire, comme si j'étais dans l'optique d'une troisième chance, et une mémoire à nouveau effacée. Geste illusoire.« Si tu veux m'en parler, tu le peux. Je suis à ton service Pandora. » Face à la solennité de ma phrase, je me mis à devenir bègue avant de me reprendre. « Enfin, je suis là pour toi. » Là, tout court aurait suffi. Je déglutis et secoue la tête légèrement. Elle saisit le verre d'eau alors que je laisse divaguer mon regard sur les murs de l'Eglise et sur leur plafond, prenant le temps de respirer et d'admirer les murs, un peu plus. J'hausse les épaules et ris avec elle. « C'est vrai que ce n'est pas de tout repos de porter la toge. Qu'est-ce que tu fais qui pourrait t'épuiser autant ? » Tentative maladroite de savoir à quoi elle pouvait occuper ses journées, alors que je continuais à lui sourire sincèrement. Je l'imaginais volontiers sauveteuse en mer, sans véritablement savoir pourquoi. Peut-être parce que je la croyais capable de sauver des vies, que ce soit de la noyade ou autre, comme si elle pouvait insuffler la joie et d'autres sentiments délectables, et faire aimer la vie en la prenant du bon côté.

À peine survenu, tu ne veux plus y penser. Tu ne veux plus être affublée de cette image de ces mains portant ces perles contre ton cou, de ce sentiment d'être possédée. Ce que tu as été n'es plus. Tu es Pandora, femme de religion et de nuit, fervente croyante prête à mettre tes desseins à exécution sous l'ordre d'un être plus puissant que vous tous et non pas que toi. Il te faut te ressaisir, reprendre tes esprits et tes aises même si ce n'est à priori pas une tâche aussi simple à faire qu'à dire puisque tu nécessites l'aide de Rafe pour refaire la configuration des cierges - ce qu'il fait seul en réalité. Tu souris aux propos du prêtre même si tu n'as pas le désir d'être guidée. Tu n'es pas égarée, tu connais le chemin que tu dois prendre, celui qui a été tracé pour toi et sur lequel tu marches avec assurance en compagnie de Karma et Ostara. Son attention te flatte dans le mauvais sens, surtout après un tel souvenir qui ne fait que renforcer cette idée que tu ne nécessites l'aide de personne. Seul toi peut prendre soin de qui tu es et c'est par simple respect que tu acceptes la bouteille d'eau afin de ne pas lui sembler impolie ou déplaire à l'un des messagers officiels de votre divinité adorée. À défaut de savoir précisément comment gérer la situation, tu la tournes en ta faveur dans la rigolade, un plan qui se retourne vitre contre toi et tu prends une nouvelle gorgée du liquide transparent pour occuper ta bouche quelques précieux instants supplémentaires. « Autant l'homme que la femme se laissent submerger par leurs désirs de temps à autre. » Une façon poétique de mettre ton métier sur la table sans l'exposer au grand jour. Une poésie désignant que l'on te paie pour satisfaire ces besoins primitifs, que tu sacrifies ton corps pour le plaisir de l'humain façonné par la main charitable de Dieu. Il s'agit d'une part de ta mission, d'une facette de ce que tu es venue accomplir à Varakes et tu n'as pas à questionner ses plans. De toute façon, tu ne maudis pas ce boulot autant que l'on pourrait être porté à le croire. Après tout, les gens comme toi tirent profit de leur pouvoir grâce aux contacts physiques et c'est par ces instants que tu piges ce qui te sera utile dans l'esprit d'autrui. Du bout de l'index, tu remontes tes lunettes sur ton nez et poses ton regard dans la direction de Rafe, attendant sa réaction.Tu ne connais pas son degré de compréhension du langage féminin, de sa capacité à lire entre les lignes, alors tu ne sais pas s'il captera.

Tête légèrement inclinée, je la sens accablée par le poids du souci et de l’inquiétude à l’égard de la jeune croyante. J’observe ses perles, son cou fin et espère que son passé ne la tourmente pas plus que de raison. Pandora, elle la fidèle à la foulée fluette et aux mots lourds de sens, elle m’était apparue comme une sorte d’ange, bien trop éclatant pour être vrai. Pourtant, je laissais mes yeux se faire abuser par une telle magnificence, presque céleste, possiblement éternelle dans une mémoire d’homme. Peut-être en avais-je trop fait, ou pas assez, bien trop gauche pour être dans les faux-semblants, je me contentais d’essayer de comprendre, elle et son fonctionnement. Je l’appréhendais comme un mystère, dont j’ignorais tout de l’énigme, et j’ignorais même jusqu’à savoir l’envie ou le besoin de la percer à jour. Il fallait accepter, aussi, les part d’ombre. La foi était l’anéantissement des doutes, et pourtant, elle ne faisait que m’en inspirer. Elle m’intriguait, malgré elle, et définitivement, malgré moi. Je me laissais quelques permissions, qui ressemblaient de plus à plus à des absolutions, lorsque je laissais mon regard plonger dans le sien, ma main effleurer la sienne, bien que par mégarde et je craignais le détournement et la damnation. Alors, je gardais les poings serrés, la démarche bien trop rigide pour être naturelle, mais il n’y avait que dans son regard que toute lutte était vaine. Je voulais l’apprendre, la connaître et encore une fois, elle parlait en énigme, décochant un léger sourire insatisfait de ma part. Je baissais alors légèrement la tête, attristé à l’idée de n’avoir que son prénom, quelques bribes de sa foi et une vague occupation. A sa révélation floue, je l’imaginais alors assistante, ou masseuse et puis je me mis à réfléchir. Peut-être était-elle serveuse, pour avoir pris le temps d’autant observer les gens et les connaître ainsi, et être aussi fatiguée. J’esquisse finalement un large sourire, me laissant encore entraîner dans une noyade des plus exquises, dans son regard. Dans un grand fracas, la porte de l’Eglise s’ouvre et vient heurter le mur, me ramenant aussitôt dans notre réalité. Je déglutis, me racle la gorge et me lève aussitôt pour aller voir ce qu’il en était, avant de prendre le temps de regarder une dernière fois Pandora. « C’est un lieu de paix ici, qu’on ne vient troubler sous aucun prétexte ! » Je contracte ma mâchoire et croise mes bras, durcissant mes traits. L’homme se confond en excuses et foule le marbre sur la pointe des pieds. D’un air réprobateur, je le suis du regard, et lorsque mes yeux balayent l’Eglise, elle n’y est plus. Elle était insaisissable, autant l’accepter et s’y faire. Je baisse alors la tête et passe ma main sur ma nuque, avec une seule question en tête, quand la reverrai-je un jour ?. Il n'y avait que le cuir brûlant sur ma peau et le sang légèrement déversé qui viendraient la taire.