anger | Shaxen

Déjà plusieurs jours que tu squattes n’importe où, en autant que c’est ailleurs qu’au studio. Tu cherchais à croiser le moins de monde possible, du moins ceux qui te connaissent. Il y a environ une semaine, tu as vécu des moments d’émotions fortes. Avec un peu de chance, tu poses tes fesses chez des amis plus ou moins proches. D’autres fois, tu préfères passer la nuit dehors. La température le permettant, tu endures plutôt bien les nuits fraîches. Malgré tout, tu essaies de te tenir proches d’un endroit accessible, de peur de tomber sur l’une de ces créatures. Elles semblent être de plus en plus nombreuses. Du moins, c’est hors de tout doute qu’elles ne sont pas que de banales rumeurs. Tu commences à te reprendre un peu en main, réalisant que de belles choses t’attendent. Tu ne peux pas passer l’éternité à t’apitoyer sur ton sort et celui de ceux qui ont fait partie de ta vie antérieure. Pourtant, c’est plus difficile que tu ne l’aurais cru. Tu t’es amoché rapidement et durement cette dernière semaine. Ton allure ne te rend pas non plus hommage : le nez pété, des ecchymoses un peu partout sur le corps qui commencent à peine à disparaître, tu fais peur aux passants. Cet après-midi, tu as envie d’un café, de quoi te détendre. Mains dans les poches, te trimbalant comme un soûlon, comme un vieil amoché par la vie, tu regardes au loin à l’horizon, le regard perdu à l’horizon, lorsque tu crois apercevoir une silhouette, tout aussi amochée la tienne et qui te paraît familière. Tu clignes des yeux à mesure d’avancer, et tu réalises le pire : c’est Shadow. Loin de là ton envie de le voir, tu serres les poings à sa vue, et tournes les talons pour t’éloigner au plus vite en espérant qu’il ne t’aie pas vu. Putain. Pas lui.

Dire que ces dernières semaines ont été le foutu bordel serait, et de loin, l’euphémisme de l’année. Non, sérieusement. Elles ont été les plus agitées que j’ai vécu depuis mon arrivé ici et, honnêtement, j’espère que ça ira en s’améliorant parce que j’en peux plus. J’ai toujours la tête qui tourne et rien que l’idée d’avoir un nouveau souvenir qui me prend par surprise me rend nerveux comme une putain de souris dans un labyrinthe empli de chats. Malgré tout, je tente de remettre de l’ordre dans mes idées, de remettre de l’ordre dans ma vie aussi. Depuis que Makfire m’a foutu à la porte –Mak, ma Sofie- j’ai le cœur lourd et j’ai du mal à penser aux cobras sans voir son expression de fureur qui me jette dehors. Alors c’est chez Aspic, mon meilleur pote, que j’ai posé bagage. Je ne voulais pas imposer ma présence à Wade plus longtemps que je ne l’avais déjà fait. Même s’il m’aurait certainement accueillit à bras ouverts…. Peut-être plus tard, qui sait. Seul le temps nous dira comment les choses iront entre nous. Je ne suis pas pressé même si, apparemment, ma patience disparait près de lui, la hâte prenant toute la place. Je marche en ville les mains dans les poches, n’ayant même pas envie de courir sur les toits ce qui, en soit, est une première lorsque je t’aperçois au loin. Tu es aussi mal en point que je l’aurais cru, voir même pire. Putain, mais tu t’es fait attaqué par un monstre après moi ou quoi? J’accélère le pas et ton regard croise le miens. Aussitôt, tu tournes les talons et je serre la mâchoire. Eh merde! « JAXEN! » C’est pas comme ça que ça devrait se passer. Fais chier. T’étais un de mes meilleurs amis mon gars, on peut pas laisser les choses comme ça entre nous. En plus, j’ai encore aucune idée de la vérité par rapport à toi et Blaze et, honnêtement, ce serait soulageant pour une fois d’avoir toutes les infos en bloc et non en différé.

Ce fut naïf de croire qu’il ne te remarquerait pas. La réciprocité de ce ressentiment, cette haine mutuelle à l’égard de l’un et de l’autre, alors qu’en premier lieu vous étiez des meilleurs amis. Que s’est-il passé pour que tout change? Pour que votre amitié éclate et que les liens se brisent? Une femme. Des mensonges. Et des coups. Plus les jours avancent, plus tu appréhendes la suite. Plus les souvenirs te reviennent, plus l’avenir te semble sans but et sans intérêt. Tu crains d’être de nouveau frappé par des bribes de ton passé, un passé qui te semble de prime abord si horrible et si sombre que tu donnerais n’importe quoi pour tomber à nouveau dans un sommeil menant à une amnésie totale. Et plus tu fuis ton passé, plus tu fuis ton présent, aussi. Tu t’isoles, tu te crées une carapace une sorte de barrière mentale pouvant te protéger de n’importe quel malheur, de n’importe quelle horreur. « JAXEN! » Trop tard, il t’a repéré. Tu maugrées dans ta barbe, encore beaucoup trop longue pour ton visage, mais tu ne freines pas le pas. Tu accélères, même. Tu ne veux pas te retrouver sur son chemin. Il t’a bien fait savoir que tu n’étais plus le bienvenu, qu’il ne te fait plus confiance. Et mine de rien, tu lui en veux. Tu lui en veux sans trop savoir pourquoi. Pour cette vie de merde, même s’il n’y est pour rien. Pour t’avoir mis à terre, alors que tu ne pouvais déjà plus te relever. Pour avoir cru des mensonges et t’avoir fait payer le prix cher. Tu t’arrêtes soudain, les poings serrés, la mâchoire tendue. «Qu’est-ce que tu m’veux?!», craches-tu en te retournant, prêt à l’affronter, mais pas prêt en même temps.

Je cours vers toi sans trop savoir ce qui m’attend. Si ça ce trouve, tu te retourneras pour me rendre la monnaie de ma pièce. Me frapper jusqu’à ce que ma propre mère ne puisse même plus me reconnaitre. N’est-ce pas là à peu près le sort que je t’ai réservé sans préavis? Peut-être même pire à en juger par ton état. Je vois bien que ce n’est pas que physique et pourtant, je ne m’arrête pas avant de t’avoir rejoint. Tu fais volte-face et je fais un pas vers l’arrière, juste au cas. « Qu’est-ce que tu m’veux?! » J’ouvre grand les yeux, la bouche aussi, mais aucun son ne sort. Je te regarde un instant, muet comme une carpe et la referme finalement faute de trouver les bons mots. J’ai pas particulièrement envie d’avoir l’air d’un poisson hors de l’eau, mais j’avoue ne pas avoir pensé plus avant à ce que je pourrais bien te dire. Tu dois me détester présentement et, honnêtement, je ne te porte toujours pas dans mon cœur moi non plus. Tout ça à cause d’une meuf, mh? Merde. C’est con, c’est terriblement con tout ça. « J’suis désolé. » Il m’en coûte de le dire, cher même. Mais je pile sur mon orgueil et avale de travers. Baisse la tête aussi et trouve un truc particulièrement intéressant à fixer entre mes baskets usées. Ton regard me transperce, aucun besoin de le voir pour le sentir. Allez Jax, dit quelque chose. N’importe quoi. Ta colère sera mieux que le silence…

« J’suis désolé. » Des mots qui t’paraissent futiles. Malgré qu’ils sonnent sincères, tu peines à croire qu’il l’est, lui. Shadow ne semble pas vouloir affronter ton regard, qui se fait perçant et menaçant. Ce n’est pas l’envie qui manque, que de soulever ce poing déjà serré et tendu et de le lui planquer en pleine gueule. Il le mérite. Étonnement, tu n’as pas la force de le faire. Tu es las, désespéré et déjà beaucoup trop amoché pour te prendre des coups et en donner à autrui. Tu es engourdi par l’alcool et par la vie. «J’en veux pas d’tes excuses.» Et pourtant, tu restes planté devant lui, à attendre. Attendre quoi? T’en sais rien. Mais, tu ne bouges pas. Tu essaies de te détendre, de détendre tes poings qui ne demandent qu’à s’abattre sur son visage… Tes ongles pourtant courts te rentrent dans la peau, à force de les serrer. À bien y penser, c’est peut-être la curiosité qui te pousse à rester là, à l’observer de haut – parce que du haut de ton mètre quatre-vingt-onze, tu le dépasses largement et tu es plus imposant. «P’tain Shad. Pourquoi t’as fait ça?», dis-tu en faisant allusion à cette parfaite soirée de merde. Tout s’était enchaîné tellement vite ce soir-là : ton souvenir atrocement douloureux, ton poing sur sa gueule, l’alcool, Shadow qui se rue sur toi en maniaque et qui t’assènes de coup… Après autant de jours, tu en as encore les marques sur le corps. Comme quoi il n’y est pas allé de main morte.

J’ai rarement dans ma vie eu autant l’impression d’être un bon à rien. Rarement je dis bien puisque me faire jeter au visage une bague de fiançailles était suffisamment difficile sans qu’en plus je doive faire face à mon ex fiancé à nouveau et me fasse mettre à la porte une fois de plus. Malgré tout, ce n’est pas de Sofie ou Makfire dont il est question aujourd’hui, mais bien de Jaxen –quel que soit ton véritable prénom mon gars. Il m’en coûte de m’excuser parce que, franchement, j’aurais bien besoin de t’entendre t’excuser aussi. Ne m’as-tu pas frappé sans raison apparente dans le bar avant de disparaitre à l’extérieur? Certes, c’était rien comparé au sort que je t’ai réservé ensuite, mais tout de même… « J’en veux pas d’tes excuses. » Bah merde. Ça m’apprendra à vouloir bien faire. Je serre la mâchoire et relève lentement la tête vers toi, soutient enfin ton regard bien que je n’en ai pas envie. Je suis frustré moi aussi même si je me mors la langue suffisamment fort pour me retenir de dire d’avantage de connerie, d’aggraver la situation. Tu me surplombes pratiquement, me toisant d’un regard mauvais sans pour autant t’enfuir à nouveau. Pourquoi est-ce que tu restes là si tu n’veux pas de mes excuses? Peut-être qu’au fond, une toute petite partie de toi tient encore à notre amitié comme c’est le cas pour moi…? Ou alors je me fais des idées encore une fois. « P’tain Shad. Pourquoi t’as fait ça? » J’avale de travers, je ne saurais même pas par où commencer. Et pourtant, c’est un soupire qui quitte mes lèvres alors que je secoue la tête de gauche à droite. « Blaze. Tout ça, c’est à cause de Blaze. » Je regarde au loin à ma droite et reporte mon attention sur toi en inspirant un coup. « Quand j’ai sû que vous étiez coloc’ c’était déjà suffisamment difficile à avaler. Mais quand elle m’a dit qu’elle avait couché avec toi j’ai…. » Je baisse rapidement les yeux, me sentant à nouveau très con et te regarde encore. « J’ai vu noir et tu connais la suite. »

Tu restes là, poussé par la curiosité de savoir ce qui l’a poussé lui à te tabasser. Pourquoi s’est-il acharné sur toi de la sorte? Tu as bien vu dans son regard ce soir-là, qu’il était ailleurs. Qu’il était dans un état second, possédé par une entité extérieure, une rage inexplicable. Et encore aujourd’hui, c’est inexplicable. Un élan de colère et de rage mystérieux, résultant par des poings, des injures et des blessures toujours en train de cicatriser à ce jour. Poussé par cette curiosité qui te dévore les tripes à l’instant, tu n’es pas sûr de vouloir savoir, mais ça te démange, alors tu oses demander. Le pire est à venir : tu retiens presque ta respiration d’être mis au courant de ses motivations. Tu attends, en vain. Le temps passe à la seconde près, ça te paraît une éternité. « Blaze. Tout ça, c’est à cause de Blaze. Quand j’ai sû que vous étiez coloc’ c’était déjà suffisamment difficile à avaler. Mais quand elle m’a dit qu’elle avait couché avec toi j’ai…. J’ai vu noir et tu connais la suite. » Évidemment que tu connais la suite. Tu en portes encore les marques à ce jour. Alors qu’il déballe ses aveux, tu te rappelles de ceux de Blaze, faits la soirée même de cette bataille. Elle t’avait elle aussi avouée avoir menti à Shadow, sans trop savoir pourquoi. Toi aussi t’as vu noir à ce moment-là. Tout ça… à cause de Blaze. Tu pousses un soupir et desserres les poings. «J’ai pas couché avec elle.» C’est tout ce que tu trouves à dire en réponse. Ça se comprend. Pourtant, c’qui te fait chier là-dedans, c’est qu’il ait été jaloux au point de vouloir te frapper. Au point de te frapper, même. Il est jaloux de votre relation, qui n’en est pas vraiment une. Putain. Et ça, ça t’rend jaloux.

Bien sûr que tu connais la suite. Pourquoi ne la connaitrais-tu pas? Après tout, t’étais aux premières loges pour la voir se dérouler, non? Alors cette fois je soutiens ton regard, tentant de faire un homme de moi-même. Il est à peu près temps je crois. « J’ai pas couché avec elle. » J’hausse les sourcils, surpris que ce soit là la seule chose que tu trouves à me répondre. Pourtant, ta frustration semble encore bien palpable. Moi, j’suis soulagé d’apprendre que vous ne l’avez pas fait, mais terriblement déçu d’avoir cette confirmation; Blaze m’a menti, délibérément. Il faudra que je parle avec elle bientôt… « Moi non plus. » Allez savoir pourquoi j’te dis ça. Au fond, c’est pas comme si ça changeait quoi que ce soit ou bien si c’était la question. Je repense ensuite à ce soir où Wade m’a demandé si j’avais des sentiments pour Blaze et à cette réponse que je lui ai donné. Peut-être que toi aussi, tu mérites de le savoir Jaxen. « J’suis pas amoureux d’elle mec… C’est pas comme ça entre nous. J’ai juste été con et j’crois qu’on a confondu notre amitié avec autre chose elle et moi. » Je donnai un coup de pied dans une roche par terre, la regardant rebondir avant de poursuivre, les mains dans les poches. « C’est comme une sœur pour moi et j’ferai toujours tout en mon pouvoir pour la protéger….. même si ça veut dire devoir te péter la gueule à nouveau. » Je soupirai avant de rire doucement. « Elle est à toi si tu veux… du moment que t’en prend soin. » Ouais, parce que j’ai pas besoin d’un dessin pour comprendre que tu tiens à elle et qu’elle tient à toi. Si vous êtes heureux ensemble alors qu’est-ce que j’peux y faire? Après tout, j’pourrais pas rêver mieux que de voir mes deux meilleurs amis ensemble, non?

C'est de là que la tension a pris naissance entre vous. Du faux aveux qu'a fait Blaze sur votre relation respective, tu t'es attiré les foudres de ton ami sans rien n'y comprendre d'abord. Jusqu'à maintenant. Tout prend son sens, mais tu te perds dans ce que tu ressens. Mélangé dans tes émotions entre Blaze et Shadow, tu ne sais plus qui croire, en qui voir les bonnes intentions et les mauvaises. Tu les adores tous les deux, mais ce soir là, c'était trop. Too much à endurer. « J’suis pas amoureux d’elle mec… C’est pas comme ça entre nous. J’ai juste été con et j’crois qu’on a confondu notre amitié avec autre chose elle et moi. C’est comme une sœur pour moi et j’ferai toujours tout en mon pouvoir pour la protéger….. même si ça veut dire devoir te péter la gueule à nouveau. Elle est à toi si tu veux… du moment que t’en prend soin. » C'est beaucoup à prendre d'un coup, à avaler. Des aveux, de la sincérité - pour une fois, une confidence, de la confiance... Shadow, c'est ton pote. Même si vous avez vos différends, vous avez toujours réussi à passer par-dessus et à vous serrer les coudes, coûte que coûte. C'est à ton tour de regarder le sol, honteux. Honteux? Non, en fait. Plutôt mal à l'aise. Mal à l'aise de discuter de ça. De réaliser que tu tiens à elle plus que tu n'y aurais cru. Elle est à toi... C'est ce que tu retiens, d'abord et avant tout. Pour te détendre, t'essaie de jouer sur l'humour, toi aussi. La prochaine fois que t'essaieras de me péter la gueule, attends toi à ce que je te rende la pareille. La dernière fois, tu t'étais laissé faire, trop perdu dans ta tête pour être capable de répliquer et te défendre. Et... c'est pas question de ça, t'sais. Blaze, je sais pas ce qu'elle représente pour moi. C'est pas évident, mec. T'aimerais avoir un guide, un manuel t'expliquant comment ça fonctionne, une femme. Ou comment interpréter ce qu'on ressent pour une femme. Mais personne peut t'aider là-dessus, autre que toi. Moi aussi j'ai eu peur que t'aie couché avec, j'dois t'avouer. Tu finis par lui sourire, espérant que toute cette discussion permettrait de lever définitivement le drapeau blanc.

Un long silence s’écoule après mes aveux, un silence qui me fait douter encore plus de ta réaction. Je ne sais pas si tu voudras encore fuir ou bien me frapper pour te venger. Je ne sais pas si tu accepteras mes excuses, mes explications. Si tu voudras qu’on soit pote à nouveau aussi.. Finalement, c’est sur un ton humoristique plutôt encourageant –à mon sens en tout cas – que tu me réponds : « La prochaine fois que t'essaieras de me péter la gueule, attends toi à ce que je te rende la pareille. » Je souris presque en hochant la tête. Le contraire m’aurait surpris. D’ailleurs, ça m’avait privé de pas mal de satisfaction que tu me laisses te tabasser comme ça. C’est bien plus intéressant quand on a un minimum de défi. « Et... c'est pas question de ça, t'sais. Blaze, je sais pas ce qu'elle représente pour moi. C'est pas évident, mec. » J’hoche à nouveau la tête, serrant un peu les poings. J’aime pas t’entendre dire ça, t’entendre dire que tu n’sais pas ce qu’elle représente pour toi alors que, clairement, si on en est là, c’est parce que vous avez des sentiments l’un pour l’autre. Ou alors je l’espère franchement parce que j’me suis pas pris la tête avec un de mes meilleurs potes juste pour le plaisir, croyez-moi. « J’comprends..» que je lâche finalement, ne voulant pas partir de nouvelle querelle inutilement. « Moi aussi j'ai eu peur que t'aie couché avec, j'dois t'avouer. » Cette fois je lâche un petit rire en passant la langue sur mes dents, secouant un peu la tête de gauche à droite. « J’ai pas eu cette chance, non. » Je te regarde avec un sourcil relevé, conscient que l’ambiance est déjà largement différente de tout à l’heure, l’atmosphère est largement plus respirable. « So.. we’re good? »