Enfin je te retrouve { Muse

    Soupirant pour la énième fois de la journée, il laissa sa tête tomber en arrière. Sa tasse de café chaude continuait de brûler entre ses doigts refermés dessus. Il ne faisait pourtant pas froid en cette belle journée ensoleillée, mais cette boisson amère faisait partie des habitudes du jeune homme, qu'il vente ou qu'il fasse une trentaine de degrés, il serait toujours présent pour boire son breuvage chaud. Parce que c'était ainsi et qu'il n'était pas une personne qui appréciait le changement dans son quotidien. Pour quelqu'un qui s'était réveillé un beau matin sans aucun souvenir de sa vie d’antan, voir le moindre indice sur l'homme qu'il était si ce n'était ces quatre petits objets, qui lui étaient inutiles, était un supplice. La montre à gousset ne fonctionnait plus, les aiguilles avaient cessées de tourner quelques jours après son réveil et la photo ne révélait rien de concret comme les visages avaient été détruits avec ce qui semblait être un cutter. Il ne pouvait dire plus des lunettes ou du médaillons qui n'étaient que des accessoires, peut-être, sans histoire qu'il avait acheté par le passé. Il se redressa, prit une gorgée de son café, appréciant la chaleur qui se déversait dans sa gorge avant de reposer la tasse et de s'emparer du livre qui se trouvait à côté de cette dernière. Il ne pourrait dire depuis combien de temps il était assis sur cette chaise, à contempler les personnes inconnues qui passaient devant lui, lisant un chapitre lorsque la première activité l'ennuyait et y revenant une fois ce chapitre fini. Il profitait pleinement de son temps libre, des heures qu'il n'avait pas à passer dans le bar où il travaillait – presque – tous les jours. Pas qu'il n'affectionnait pas son travail, au contraire, il voyait du monde, pouvait parfois discuter même avec l'inconnu, et ses collèges étaient, en général, très agréables. Il avait trouvé un petit peu de ce bonheur tant désiré chez les Cobras et il ne pensait pas les quitter de si tôt.
    Owls sursauta, sortant de sa rêverie. Le livre s'était retrouvé à terre, encore ouvert à la page qui n'attendait qu'à être lue. Il ne savait pas ce qui venait de le prendre, lui qui pouvait d'ordinaire contrôler son corps à la perfection grâce à ce don qu'il avait découvert à son réveil. Un fin sourire amusé apparut alors sur ses lèvres pendant qu'il se penchait pour récupérer l'objet. Au moment de se relever, son regard croisa une silhouette qu'il ne connaissait que trop bien. Une jeune femme qu'il n'avait pas revue depuis trop longtemps. Choquée par cette vision soudaine, il la laissa filer dans la foule des personnes qui faisaient leur shopping, restant figé comme un idiot. Ce ne fut que lorsqu'il la perdit de vue que son corps se mouva à nouveau. Il abandonna son livre et sa boisson sur la table devant la vitrine du café et partit en courant aussi vite qu'il le pouvait. Il ne pensa même pas à utiliser son don pour commander à ses jambes de dépasser leur vitesse actuelle mais il en n'eut pas le besoin car, rapidement, il rattrapa la disparue. Il agrippa son bras, sans doute qu'il lui faisait mal, il ne pourrait le dire, bien trop concentré sur cette rencontre inattendue.
    « Muse... » Murmura-t-il, le regard perdu, comme si une vague de souvenirs les concernant venait de déferler dans sa cervelle.
    Elle lui avait manqué, ils avaient été proches, très proches, et pourtant, du jour au lendemain, elle avait cessé de lui répondre. Naïf, Owls avait réussi à se persuader qu'elle était très occupée et qu'ils trouveraient, un jour, du temps pour se revoir. Alors il ne put se retenir et prit la demoiselle dans ses bras.
    « Tu m'as manquée »

Les rares fois où elle ne travaille pas, Muse occupe ses temps libres dans diverses activités. Quelles qu’elles soient, elle cherche le plus possible à s’occuper les mains et l’esprit. En plein jour, en plein cœur du centre-ville, aucune chance de se retrouver seule à seule avec elle-même. Étonnement, elle est entourée d’une foule immense. Que se passe-t-il? Elle n’en n’a aucune idée. Pourtant, sa plus grande obsession dans l’instant, c’est d’éviter au maximum les contacts avec autrui, ce qui lui semble être une tâche particulièrement ardue. Elle se fait bousculer de tous bords, tous côtés par des hommes, des femmes qui accourent dans la rue. Elle veut faire les boutiques, simplement. Rien de plus, mais elle regrette immédiatement d’avoir eu cette brillante (ou pas si brillante que ça) idée. Elle déteste les contacts humains, puisque c’est inévitable : dès lors qu’elle touche ou frôle une autre personne, elle pénètre dans son esprit et y voit toutes sortes de choses. C’est un viol d’intimité pur et simple et l’idée même d’entrer dans la tête des autres sans leur consentement lui paraît impensable, voire horrible et ingrat.

Pour se laisser respirer un moment et fuir la foule, elle s’exclut dans un coin où personne ne passe. Elle maudit ce don qui lui a été donné, imposé. Elle ne l’utilise que sur les heures de boulot et pourtant ce n’est pas comme un ordinateur qu’on peut éteindre une fois le boulot terminé, au contraire. En permanence, elle est prise avec ça et ne peut s’en défaire. Aucun bouton off pour s’en départir, s’en débarrasser. Évidemment, par cette journée qui s’est débutée en beauté, voilà que la jeune femme est irritée et particulièrement sur les nerfs. Elle n’a aucunement envie de connaître les tracas d’autrui, les déboires de chacun. Elle n’a pas envie de visualiser la scène torride d’un parfait inconnu, ni d’être déprimée par les idées noires d’un habitant parmi tant d’autres. Maintenant, elle a envie de retourner chez elle et c’est ce qu’elle s’apprête à faire lorsqu’elle plonge de nouveau dans la foule abondante, à contre cœur.

« Muse... » Elle est interpellée par une voix masculine, qui lui retient le bras. Elle essaie de se désister de ce puissant contact, mais ne parvient pas à s’en défaire, l’emprise étant trop forte. Elle s’apprête à se retourner pour donner une bonne gifle à celui qui ose la retenir, mais dès qu’elle croise les yeux du jeune homme, elle se calme immédiatement. Elle sent déferler en elle de l’incompréhension et de la joie. Des émotions qui ne lui appartiennent pas, encore une fois. Le visage souriant d’Owls parvient à ses yeux et elle se retrouve rapidement prisonnière des bras du jeune homme.   « Tu m'as manquée » Elle aimerait être plus affective à son égard, lui montrer plus qu’un simple sourire, qui est plutôt forcé. Owls, elle l’aime beaucoup. Depuis qu’elle le connaît, elle l’a tout de suite apprécié. Pourtant, voir son visage lui rappelle d’horribles souvenirs : Lux. Son bébé. Son bébé qui à ce jour, aurait dû être sur le point de montrer le bout de son nez. Il est mort. Disparu à tout jamais. Ce bébé, c’était le sien, mais aussi celui d’Owls. Pourtant, il n’est au courant de rien, et c’est ce qui est le plus dur. Un voile de tristesse lui passe dans les yeux. «Owls..» À vrai dire, elle ne sait quoi dire. Comment l’aborder, comment lui parler. Ils ont été proches, et elle l’a fui. Elle le fui toujours. Elle fuit la réalité. «Avec le boulot, j’ai pas beaucoup le temps, dernièrement…» C’est faux. Enfin, pas complètement. Mais c’est l’excuse la plus plausible. Elle s’en veut. Terriblement. Mais que faire d’autre?

@Owls