Et si on imaginait des vies ? — Karma

Et si on imaginait des vies ?

Qu'est-ce que la journée avait été longue aujourd'hui... Ce n'était pas le travail qui avait été long, au contraire, aujourd'hui on ne m'avait pas tellement beaucoup ennuyé. Pas trop de colis, ni trop de gens à qui ouvrir la porte. Franchement, je ne comprendrai jamais. Les gens sont stupides à ce point et ne savent pas ouvrir une porte tout seul ? On nous a retiré nos souvenirs, pas notre cerveau tout entier. Enfin, même si je suspecte certain de ne jamais en avoir eu un. Le jour où on les a distribué, beaucoup étaient absents j'imagine. En fait, la journée avait été longue parce qu'il avait fait très chaud aujourd'hui et ce n'est pas dans mon petit costume de portier que je pouvais rester au frais. Ils sont malades là bas, me forcer à garder ma veste sous une telle chaleur ! Ils voulaient me retrouver désécher peut être. Qui sait ?

Je sortis de l'immeuble, mon sac sur le dos avec mon costume à l'intérieur. Evidemment, je m'étais changé et j'avais enfilé quelque chose de plus estival : un short et un tee shirt digne d'un coureur de marathon. Je marchai tranquillement dans les rues du centre-ville et je songeais déjà à quelle boisson j'allais prendre au café. Oui, j'avais mon rituel. A chaque fin de travail, j'allais au café, choisir une nouvelle boisson sur le menu afin de découvrir de nouvelles choses. Après quelques minutes de marche, j'arrivai au café. Je m'installai à une table sur la terrasse à l'extérieur et choisis une boisson. Aujourd'hui, j'avais simplement pris un verre d'eau puisque j'allais bientôt être desséché à cause de cette chaleur.

Une fois servi, je commençai à observer les gens. Je ne savais même pas comment c'est devenu un passe-temps mais ça me plaisais. Ca m'occupait. Voyant un homme en costume cravate passer, je dis :

-Lui, je dirais.. 35 ans. Banquier. Marié. soufflai-je.

Une femme passa ensuite.

-Elle, elle est plutôt bien habillé et a l'air d'être stressée, je réfléchis un instant, Je dirais... Qu'elle va à un rendez-vous galant.

J'aurais pu continuer comme ça longtemps, si seulement une blondinette ne se serait pas incrusté dans mon monologue.

Et si on imaginait des vies ?

Avrai dire, je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un m'entende chuchoter les choses étranges que je disais à propos des gens. Beaucoup auraient pu me prendre pour un fou, un fêlé mais pas la fille à la table à côté. Elle avait l'air d'avoir compris mon petit jeu ce qui m'amusait. De plus, elle n'avait pas l'air de garder les choses pour elle, préférant plutôt dire ce qu'elle pensait de manière franche.

-Sucer son patron pour avoir une promotion, j'imagine.

Je lâchai un léger suite aux paroles que je venais de dire puis je redirigeai mon regard sur les passants. Je pris une gorgée de mon verre d'eau avant d'écouter les dires de la jeune femme, elle semblait être aussi quelqu'un qui n'avait pas peur de tout ce qui était noir puisqu'elle parlait ouvertement d'un suicide comme si elle parlait de quelque chose d'anodin. Mon regard se dirigeai vers elle, calant son regard dans le sien. Un sourire amusé dessiné sur ses lèvres.

-Tu m'as l'air d'être quelqu'un avec qui on ne s'ennuie jamais.

Soudain, j'eus une idée qui me parcourut l'esprit. Je me redressai alors et croisai mes bras contre mon torse.

-Et si tu tentais d'imaginer ma vie ? Qu'en dis-tu ?

Je haussai un sourcil, avant de me mordiller légèrement la lèvre inférieure, une petite manie que j'avais depuis toujours.

-Oh, j'en oublie les bonnes manières. Moi c'est Alex.

Et si on imaginait des vies ?

Cela me faisait vraiment plaisir qu'elle soit entrée dans mon jeu. Je veux dire... beaucoup m'auraient pris pour un fou à chuchoter des choses, tout seul à une table et ce tous les jours. Et là, je n'attendais que ça réponse à mon petit jeu. J'étais impatient de savoir comment on me voyait et si je paraissais vraiment fou. Je déposai alors mon verre sur la table où j'étais attablé puis je croisai les bras contre mon torse et je me mis à écouter.

Et boom. Ce n'était pas du tout ce à quoi je m'attendais. Enfin, peut être que si. Pas que je me crois capable d'acheter des armes et de faire une tuerie à l'école, où je n'y vais plus d'ailleurs, j'aurais du m'attendre à une telle chose. Rien qu'à entendre ce qu'elle avait dit à propos de la femme en retard pour son boulot, j'aurais du m'y attendre.

Je fermai alors la bouche puisque entre temps je l'avais entrouverte,
estomaqué par sa réponse. Je secouai la tête quand elle demanda de continuer.

-Non non, c'est très bien comme ça.

A vrai dire, cette fille m'intriguait beaucoup. Qui donc peut sortir des choses pareilles à voix haute? Je me mordis légèrement la lèvre inférieure avant de secouer doucement la tête pour sortir de mes rêveries.

-A moi.

Je réfléchis un instant, buvant le reste de mon verre d'eau puis je le redéposai. J'affichai alors un sourire et commençai :

-Au lycée tu devais être une cheerleader, ou quelque chose comme ça. Tu devais aimer te montrer mais surtout attirer le centre de l'attention.
Tu essayais d'attirer l'attention du beau capitaine de l'équipe de foot mais en vain.

Je réfléchis à nouveau, prenant une pause dans mes paroles sans pour autant avoir terminé. Je voulais aussi sortir quelque chose de noir dans sa pseudo histoire avant l'effacement que j'avais, évidemment, inventé de toute pièce puisque je ne la connaissais pas, même son prénom je l'ignorais !

-Un jour, t'avais su réussir à attirer son attention à une fête, vous étiez tellement bourré que tu t'étais laissé déshabiller sans broncher et au final, t'avais juste été son plan cul. Toute l'équipe l'avait découvert, il l'avait raconté à tout le monde et t'avais complètement jeté comme une..merde. Tu t'étais tapé la honte du siècle alors que tu ne te souvenais même pas de ce que vous aviez fait. Résultat : honte tout le long de tes années de lycée parce que t'avais reçu l'étiquette de fille facile, "celle qui avait couché avec le capitaine de l'équipe et qui s'est fait jeté par machin lui-même" et... Je haussai un sourcil, Je continue ?

Et si on imaginait des vies ?

J'étais plutôt fier de moi par rapport à mon histoire morbide. Je n'avais cru aucun mot de ce que j'avais dit, à vrai dire, je ne croyais jamais à ce que je disais. J'étais évidemment sûr que ce que je disais étaient des conneries. J'inventais des histoires en voyant seulement le physique et la façon d'être des gens. C'était un passe-temps qui m'aidait à faire face à la frustration de ne pas savoir. Etant curieux de nature, ne rien savoir par rapport à mon passé me frustrait et je ne voulais vraiment pas en devenir fou. Imaginer les vies des gens était un moyen de décompresser.

Sa réponse m'avait un peu étonné. J'étais parti dans un délire digne d'un film cliché pour les adolescents. Mais au lieu de me répondre oui suite à ma question, non, elle décida de continuer cette histoire, allant même beaucoup plus loin de le morbide.

Sa dernière phrase me fit une drôle d'impression. Et si elle avait raison ?Et si on était ici parce qu'on était fou ou parce qu'on avait des problèmes mentaux ? Intrigué, je me penchai vers elle, les sourcils froncés.

-Tu penses qu'on est ici parce qu'on est malade ?

Evidemment, la curiosité avait reprit le dessus. En regardant la blondinnette, je me rendis compte que je ne connaissais même pas son prénom.

-Quel impoli je suis, je m'appelle Alexander mais...Appelle moi Alex,
c'est beaucoup mieux.

Et si on imaginait des vies ?

Soudainement, beaucoup de questions se bousculèrent dans mon esprit. Tout le monde connait le dicton : "La curiosité est un vilain défaut", eh bien, c'était mon pire défaut. J'adorais être au courant de tout mais lorsque j'entendais des gens parler des raisons de notre venue à Varakes, mes oreilles étaient grandes ouvertes et mon attention était totalement portée sur cette conversation.

Mais là, j'étais d'autant plus curieux de savoir. Etions-nous réellement malade ? Alors j'étais réellement fou ? Au point d'imaginer les vies des gens ? Je secouai alors la tête à sa question.

-C'est vrai.. Mais ça voudrait dire qu'on a tous la même maladie.

Je me mis alors à réfléchir à toutes ces histoires de pouvoirs. C'est vrai, d'où venaient-ils ? Est-ce qu'on pourrait le rendre ? Ce n'était pas qu'il m'énervait mais...c'est tout comme. J'avais ce pouvoir qui me prévenait d'évènement, dangereux ou pas. Mais c'était ma propre voix, dans ma tête, qui me parlait. Un peu dérangeant.

-On a tous des pouvoirs, oui. Mais est-ce qu'on les avait avant de venir ici ?

Je lui adressai un sourire en entendant son prénom puis je haussai les sourcils avant de soupirer.

-Pas de surnom ? Mince, je comptais t'appeler Boucle d'Or... je souris d'un air amusé.

Je croisai les bras contre mon torse, réfléchissant. Je me mordillai alors la lèvre inférieure, comme à ma mauvaise habitude puis je me penchai vers elle pour lui répondre.

-J'avais pensé à un genre d'apocalypse et que Varakes serait un peu comme l'arche de Noé, ou un truc dans ce genre en tout cas.

Et si on imaginait des vies ?

Mon esprit était de plus en plus perdu sous toutes ces questions au fur et à mesure de cette conversation. Je ne savais rien, tout semblait pouvoir être une piste fiable jusqu'à ce qu'on trouve un petit couac, la fameuse fail de l'histoire qui nous renvoie à chaque fois à la case départ ! Cette histoire d'effacement était un cercle vicieux au fond. Aucune piste, aucune preuve. Je fronçai les sourcils à sa remarques et haussai les épaules.

-C'est possible. Mais je ne comprends pas pourquoi toutes les maladies seraient ensembles.

Je haussai à nouveau les épaules, cela ne tenait pas la route. Non non. Pourquoi aurait-on mis toutes les mêmes maladies dans une seule ville ? On ne mélange pas la peste et le choléra, si ?

-Je n'en ai aucun non plus. Quel est le tien ?

Mon regard se posa ensuite sur la main de la blondinette, ses doigts se contractèrent autour de son verre et l'écrasa. Je penchai légèrement la tête avant de laisser tomber, peut-être l'avais-je brusquer suite à cette question à propos de son pouvoir. Je n'en fis rien et me mis à sourire d'un air amusé à mon tour. Sa réponse m'étonnait, je ne pensais pas qu'elle accepterait, de plus, ce n'était qu'une pointe de sarcasme à la base.

-Parfait, Boucle d'or. Mais ça ne fait pas de moi un de tes ours bruns.

Je hochai la tête pour répondre à sa question. En fait, cette histoire d'arche de Noé n'était qu'une seule des nombreuses hypothèses que j'avais en tête. Le soir, il m'arrivait de me coucher, d'éteindre la lumière et de penser à ça, jusqu'à ce que le sommeil ne m'emporte.

-Qui sait ? ça pourrait être une solution comme une autre, suivi d'un haussement d'épaules.

Et merde. Elle avait raison. Pourquoi les souvenirs effacés ? Je recommençai à réfléchir un instant, mélangeant certaines hypothèses afin d'en trouver d'autres.

-Pour être sûr qu'on accomplisse ce qu'ils veulent ?

Et si on imaginait des vies ?

Si l'on se trouvait dans ma tête, on pourrait voir les engrenages fonctionner à plein régime. Ma tête était une usine à idées et hypothèses. C'était un besoin de savoir et je comptais bien trouver les réponses à mes questions.

Mon regard se posa alors sur la blondinette qui avait de nouveau écrasé son verre dans sa main. Je me demandais vraiment ce qu'il pouvait bien se passer dans sa tête et pour une fois, j'avais envie d'être un mentalist. Je fronçai alors les sourcils, hésitant à lui demander ce qu'il se passait mais au final, je laissai tomber. Ce n'était pas mes affaires et je n'allais pas commencer à parler de problèmes alors que je la connaissais à peine. Je hochai la tête à ses paroles avant de répondre à mon tour :

-Force Eludere, j'ai une petite voix dans la tête qui me prévient des évènements à venir. Je prévois l'avenir, quand il va se passer quelque chose de mal.

Je souris en retour avant de retourner dans mes pensées. Ce qu'ils voulaient ? Je n'en avais aucune idée et j'imaginais qu'on ne le saura que le jour où les enfoirés qui nous avaient envoyé ici montreront le bout de leur nez/ Malheureusement, ça n'arrivera sûrement jamais.

-J'en ai aucune idée... mais c'est sûrement pas un truc bon. Enfin, si ça l'était, on aurait toujours nos souvenirs.

Je fronçai les sourcils suite à sa question par rapport à l'église de la seconde chance. A vrai dire, je n'y avais jamais songé. J'étais bien de mon côté.

-Bah.. Je ne crois pas en ce dieu qui nous aurait donné une seconde chance à la vie.