(rafenesis) the valley of the dolls.

A genoux à même le sol, toge volontairement repliée, le marbre autrefois froid sur ma peau devient agressif. Je le sens bleuter ma peau, pour mieux la faire rougir et l'égratigner. Mes mains se joignent, mes ongles s'enfoncent peu à peu dans mon épiderme. Pourtant, je n'arrive pas à ressentir ces peines-là. Peut-être était-il temps de se soumettre à la hiérarchie de l'Eglise de la Seconde Chance, et de me confesser à notre Mère Supérieure. Mais je n'y arrive pas, je préfère rester dans l'intimité, entre Lui et moi. Alors je prie, encore, pense et fixe le plafond, comme si une quelconque réponse allait venir. Pourquoi avoir des souvenirs si Dieu voulait nous offrir réellement une seconde chance immaculée, préservée de tout péché de nos vies d'antan ? Etait-il joueur à ce point ? Je déglutis, avant d'être pris de spasmes nerveux. Si ma mémoire oublie, le corps, lui, me brûle. J'étouffe alors que j'ouvre brusquement les yeux en tenant fermement ma gorge. Pieds nus, je défais ma toge et m'afflige l'ultime pénitence, profitant du cuir brûlant sur ma peau pour dissiper les douleurs. Soudain, mon dos devient le centre d'attention de mes capteurs nerveux et je me sens mieux. Une personne vient péniblement m'interrompre, frappant à la porte comme si sa vie en dépendait alors que je remets ma toge, déambulant pieds nus.« Notre Mère t'appelle. » Je sens ma gorge se serrer alors que je hoche de la tête, lui faisant signe de partir. Aussitôt, je finis de me rhabiller convenablement et marche d'un pas ferme vers la pièce de la Mère Supérieure. Je m'apprête à frapper timidement contre la porte, mais cette dernière s'ouvre. Mes yeux y découvrent un endroit vide, alors je passe la tête et manque de me vautrer au sol.« Pardonnez-moi Ma Mère, je me suis pris les pieds dans le tapis. » Posture solennelle, je finis par relever la tête et marcher vers elle. « Vous vouliez me voir Ma Mère ? Vous ai-je déçue ? » Je baisse alors lamentablement les yeux, comme un enfant au regard accablé par le regret et le péché. Dans la panique, je me mis à penser à Siobhan, ou même à Pandora, craignant d'avoir fait preuve d'une trop grande promiscuité à leur égard. Je ne comprenais pas les raisons de ma présence. Instinctivement, je me mis à fouiller dans les méandres de ma mémoire abîmée pour y découvrir Karma. Peut-être mon comportement avait fini par préjudicier l'Eglise. Confronté à la réalité de la hiérarchie de l'Eglise, je craignais d'en être finalement rejeté. J'ignorais pourquoi, mais j'avais peur. Depuis ce souvenir, j'étais terrifié, de beaucoup trop de choses. Je priais pour que tout passe, mais la vague revenait toujours victorieuse, balayant tout sur son passage. Mâchoire serrée, je ne suis en mesure que d'étirer mes lèvres timidement, arborant un sourire crispé, les poings fermés à s'en briser.

Être à la tête d’une église n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait le croire. Contrairement à ces chefs de gang vulgaires, je ne peux pas tout bonnement descendre mes fidèles si l’envie m’en prend ou s’ils me déçoivent. Loin de moi l’envie d’en terminer ainsi de toute manière, mais vous voyez ce que je veux dire. Rien n’est simple dans une telle position et, bien que je m’évertue à les guider tous du mieux que je le peux, je ne dois pas oublier que j’ai parfois, moi aussi, besoin de guidance. Certes, je peux toujours concerter mes collègues en cas de besoin, mais il me semble dernièrement que l’équilibre que nous avions jadis tangue de plus en plus. Nos fondassions ne sont plus aussi solides et des ridules apparaissent à leur surface. Bientôt, si je ne fais pas quelque chose, nous partirons à la dérive comme les continents il y a de cela des milliers d’années. Or, contrairement à notre planète, je ne crois pas que ce soit pour le mieux.

Il est donc de mon devoir de rassembler mes fidèles et de les ramener dans le droit chemin. Mais d’abord, il me faut rapatrier mes troupes, recoller les morceaux de mon équipe. Et tout ça, commence avec toi, Rafe. Un de mes plus fervent fidèle et, j’en ai bien peur, c’est probablement là le problème. Je demande à ce qu’on aille te quérir et lorsque tu arrives enfin, j’ouvre la porte avant que tu ne puisses y cogner. Je sais que tu es là, les poils sur ma nuque s’hérissent avant même que tu n’aies franchis la moitié de la distance entre ta chambre et mon bureau. « Pardonnez-moi Ma Mère, je me suis pris les pieds dans le tapis. » Je secoue négativement la tête et fait quelques pas dans la pièce. « Vous vouliez me voir Ma Mère ? Vous ai-je déçue ? » J’inspire un grand coup et pèse mes mots en te disant d’abord : « La déception est un sentiment bien désagréable lorsqu’expérimenté par une âme sensible mon père. » Ton regard se perd rapidement dans les détails du parquet et je me racle doucement la gorge. « Regardez-moi lorsque je vous parle mon cher. Vous n’êtes pas un chien et vous n’êtes pas ici pour vous faire punir. »

Je fais encore quelques pas dans la pièce, tentant de trouver la bonne approche pour ce qui suivra. Malheureusement, je crains qu’il n’y en n’ait aucune alors je Le laisse parler au travers de moi. « Vous n’êtes pas sans savoir, mon père, que tout ce qui ce passe dans cette ville vient à mes oreilles tôt ou tard. » Je te regarde d’un air entendu avant de poursuivre. « Je ne suis donc pas sans savoir de quoi vos journées ont été faites dernièrement et je crois qu’il est temps que nous parlions tous les deux de votre ferveur envers notre Dieu. » Je m’arrête, voyant comme une ombre passer sur ton visage, une expression que je reconnais désormais rapidement lorsque je la vois : un souvenir vient tout juste de t’accabler et cette conversation risque de prendre une tournure plus difficile encore que je ne l’aurais cru.

L’Eglise était le bâtiment le plus impressionnant de Varakes, par son architecture mais surtout pour les messages qu’elle envoyait. La pureté, la bonté, piété. Ces vertus étaient essentielles et pourtant, elles n’étaient pas assez étendues à mon goût. Alors, chaque jour, je sortais hors des murs blancs de l’Eglise, observais Varakes, aidais les démunis et nécessiteux, quitte à m’exposer. Je n’avais pas pensé, pourtant, que mes actions pouvaient aussi impliquer et exposer l’Eglise. Il semblait m’inscrire dans le chemin de Dieu, que je ne faisais que transmettre Ses messages, avec une certaine ferveur, il était vrai, mais ce n’était que le reflet de ma foi et de mon amour à Son égard. Il m’avait sauvé, ce n’était pas étonnant. La foi avait mis un certain temps avant d’apparaître comme une évidence à mon cœur et à mon âme. L’embrasser fut le geste le plus naturel, une fois au sol et les os brisés. Dès lors, je vivais pour Lui, et dans la crainte de la punition pour avoir manqué à ma promesse. Lorsqu’on vient me quérir, alors que j’expiais mes fautes, mon cœur loupe un battement et je me fais beaucoup plus nerveux. Ma Mère fait quelque pas, alors que je me confonds en excuse, résigné à accepter mon châtiment. Ses lèvres bougent, émettent des paroles d’une sagesse digne de Notre Père alors que mes yeux commencent à briller d’admiration. Je lui obéis, relève lentement la tête et la regarde, toujours avec timidité et énormément de respect. Je dois seulement avouer que lorsqu’elle dit que je suis pas ici pour me faire punir, un sentiment de soulagement me traverse et mes épaules se détendent lentement. Je me permets même à lui sourire, avec une joie non-dissimulée.

La Grande Femme fait quelques pas supplémentaires, et son visage peinait à dissimuler un certain inconfort. J’espère ne pas en être la source, ou plutôt la cause. Lorsqu’elle s’exprime, au fur et à mesure de ses mots, mon sourire s’estompe. Bien sûr qu’elle était au courant, elle était la Sainte Mère, la prédilection de Dieu, Sa préférence. Elle était ses yeux mais aussi sa voix. Je hoche vigoureusement la tête, l’écoutant avec une attention parfaite. Votre ferveur envers notre Dieu. Alors que je commençais à m’interroger sur le point litigieux, un voile apparaît devant mes yeux et me prive du présent. Je ressens le poids de la bouche d’égout, l’inquiétude de la mort d’autrui, la sensation du sol qui s’effondre sous mes pieds. Désarmé et au sol, les images sont floues et pourtant je vois la fillette se faire abattre de sang-froid, sans que je puisse faire quoique ce soit. Je comprends alors que je ne devais pas. Je ne devais rien faire. Manipulatrice de la réalité ou non, ce n’était qu’une enfant et j’avais sa mort sur la conscience. L’homme aux mains maculées de sang et de boue m’aide, je me relève. Le cœur déchiré, je finis par apprendre le nom de l’impuissant, au regard amer, de celui qui a laissé faire et qui n’est autre que le mien. Frazer.

J’essayais de lier les souvenirs, et à part le remord, la violence et le sang, je n’y voyais pas grand-chose. « Je.. Hm, pardon Ma Mère, je, j’ai des images qui me viennent et que je ne comprends pas. J’ai besoin de votre aide, Ma Mère. » Je m’approche alors d’elle, les traits tirés, le regard larmoyant d’avoir vu une enfant se faire fusiller devant mes yeux, sans rien faire. Pourquoi ? Pourquoi ne payais-je mes offenses qu’à cet instant ? Je me ressaisis, prenant une longue et grande respiration. « Je, pardon, ce n’est pas pour ceci que vous m’avez fait venir. Ma ferveur envers notre Dieu ne l’honore pas assez ? J’aimerais comprendre, il n’y a que vous pour savoir. » Sans une once d’agressivité, mais avec une sincère implication, j’eus néanmoins du mal à me concentrer à nouveau tant la migraine se faisait puissante.

Sans ajouter quoi que ce soit, je laisse ton esprit reprendre sa place dans ton corps, ta raison revenir à toi alors que les images du passé s’estompe de sur tes paupières. Il me semble que ce souvenir ait été quelque chose de difficile pour toi parce que ton sourire précédemment si franc semble désormais ne tenir plus qu’à un fil. Il s’efface comme tu t’effaces aussi un peu plus chaque fois que la mémoire te revient, ton ancien toi reprenant la place de cette nouvelle personne qu’Il t’a permis d’être. À force de voir les gens souffrir, je ne peux qu’imaginer à quel point il est difficile d’être ainsi récompensé. Mais est-ce réellement une récompense que de se rappeler des choses aussi horrible, que de se remémorer une passé qu’on avait, jusque-là, préféré oublié? Je ne crois pas que ce soit un cadeau de Sa part, il ne nous aurait pas offert de seconde chance pour ensuite la reprendre petit à petit, ce serait trop cruel et je ne vois pas en quoi ça nous apprendrait quoi que ce soit. À moins que ce ne soit une punition…. J’ai du mal à comprendre.

« Je.. Hm, pardon Ma Mère, je, j’ai des images qui me viennent et que je ne comprends pas. J’ai besoin de votre aide, Ma Mère. » Tu fais quelques pas vers moi et j’hoche la tête, les sourcils froncés et la compassion sur mon visage. Oh mon fils, comme j’aimerais prendre tes souffrances pour les miennes. « Je, pardon, ce n’est pas pour ceci que vous m’avez fait venir. Ma ferveur envers notre Dieu ne l’honore pas assez ? J’aimerais comprendre, il n’y a que vous pour savoir. » Je pose doucement les mains sur tes épaules ne serait-ce que pour te démontrer mon soutient dans un moment si difficile. « Le moment semble mal choisis mon Père, préférez-vous que nous parlions d’abord de ces images dont vous ne comprenez pas le sens? Libérez-vous de ce poids inutile, permettez-moi de supporter ces épreuves avec vous, mh? » Mon regard bien ancré dans le tient, je tente de te faire comprendre à quel point il est important de ne pas tout garder à l’intérieur. Trop grand nombre d’âme accumule leurs blessures ainsi et ne semble que se fracturer d’avantage, se détruisant à petit feu.

Enfin, je lui reviens. Terrifié, perdu, mais je suis à nouveau parmi elle. Mes traits sont tirés, mes yeux se font quant à eux, rougissants. Il n’y avait qu’elle qui pouvait savoir. Elle était Sa messagère, Sa version humaine, et je savais qu’elle était détentrice de l’Ultime Savoir. Je m’approche un peu plus, me confonds en excuse. Je me sentais impur, dans un péché tel que je ne méritais que la flagellation, jusqu’à ce que mon dos soit nu de tout épiderme. Une enfant, fusillée et je remercie son assassin. Les images étaient si douloureuses que j’en oubliais leur symbolique, et ce qu’elles pouvaient réellement dire. Ma Mère s’avance à son tour, hochant la tête, les sourcils froncés mais la compassion se peignit sur ses traits fins. Je baisse alors légèrement la tête, continuant à présenter des excuses, inlassablement. Peut-être passai-je pour un faible à ses yeux, et j’avais peur. J’avais peur de perdre son estime, et de ne plus être digne et à la hauteur pour la mission confiée par Ses soins, et la grandeur de sa messagère. Ses mains frêles se posent avec délicatesse sur mes larges épaules, et je comprends alors qu’elle me soutient. Pour la première fois depuis mon réveil, je ne me sens pas seul. Je sens que l’appeler Ma Mère, n’est pas qu’un symbole, qu’un simple titre. Elle était ce qui s’en rapprochait le plus, si je pouvais me souvenir en avoir eu une, un jour. Volontaire, elle voulait supporter mes épreuves à mes côtés. Je ne détourne pas le regard, trouvant dans ses yeux perçants, un certain réconfort et un amour que seule l’Eglise est en mesure d’offrir. « Ma Mère, je ne veux pas vous accabler avec mes épreuves.. Seulement, je ne comprends pas. S’Il a effacé nos mémoires, c’est pour nous permettre de devenir meilleur, alors pourquoi ces souvenirs ? Et pourquoi une telle violence, je ne vois que le sang, la peine, la mort. J’ai vu une enfant mourir, ma Mère. Je l’ai vue s’écrouler, et.. Je me suis vu remercier son bourreau. Quel être aussi abject mériterait de porter cette toge et cette broche ? Ou même, une seconde chance. » Je baisse les yeux à cet instant, rompant tout contact visuel. Lentement, je m’autorise redresser la tête enfin et lui offre un maigre sourire. « Vous est-il arrivé d’avoir ces images ? Sont-elles toujours aussi violentes Ma Mère ? » Je cherchais désespérément des réponses dans son regard, et dans son amour, dont je n’étais plus sûr d’être véritablement digne. « Pardonnez-moi, Ma Mère, votre bonté doit nous inspirer à tous. » J’esquisse un léger sourire, léger mais profondément sincère. Nous ne pouvions qu’être perdus sans sa bonté d’âme et d’esprit, mais aussi sa piété que je pensais exemplaire.  

Ma ferveur en notre Dieu est telle qu’elle me permet de transmettre un peu de Sa bonté à travers mes faits et gestes. Or, il n’est pas donné à tous d’être capable de recevoir dite bonté. Heureusement, toi, tu sembles être le réceptacle le plus parfait pour tant d’amour et de compréhension et ce souvenir déchirant n’en est que la preuve formelle. Ton regard bien ancré au mien, tu acceptes enfin mon aide, mon soutient. « Ma Mère, je ne veux pas vous accabler avec mes épreuves.. Seulement, je ne comprends pas. S’Il a effacé nos mémoires, c’est pour nous permettre de devenir meilleur, alors pourquoi ces souvenirs ? Et pourquoi une telle violence, je ne vois que le sang, la peine, la mort. J’ai vu une enfant mourir, ma Mère. Je l’ai vue s’écrouler, et.. Je me suis vu remercier son bourreau. Quel être aussi abject mériterait de porter cette toge et cette broche ? Ou même, une seconde chance. » Mon cœur se serre dans ma poitrine à l’écoute de tes paroles, mais rien ne transparait sur mon visage sinon la compréhension et la douceur. Je ne voudrais pas que tu crois que je te prends en pitié, ce sentiment plus que bien d’autre je le déteste profondément. Si ce n’était que de moi, il n’existerait point, en bien des comparaisons semblable au mépris, il ne devrait être ressentit par personne ayant de bonnes intentions. « C’est exactement pour nous donner une seconde chance qu’Il nous a permis d’être ici aujourd’hui. Et ce, malgré tout ce que nous avons pu faire dans nos vies passées. Ces images, aussi horribles, terrifiantes et difficiles puissent-elles être, sont là pour nous montrer les horreurs auxquelles nous échappons de par Sa grâce. » Tu baisses la tête et je t’octrois ce répit bien mérité après de telles révélations.  « Vous est-il arrivé d’avoir ces images ? Sont-elles toujours aussi violentes Ma Mère ? » Je secoue lentement la tête de gauche à droite. « Il ne m’a encore rien permis de voir sur mon passé, mais plusieurs racontes ce qu’ils ont vu lorsqu’ils viennent se confesser et il semblerait que la violence et l’horreur soit dénominateur commun. »

« Pardonnez-moi, Ma Mère, votre bonté doit nous inspirer à tous. » Tu esquisses un sourire et j’hoche la tête, portant désormais la main à ton visage pour caresser ta joue. Mon regard toujours plongé dans le tient, un pincement au cœur face à cette souffrance, il me semble d’autant plus propice que je fasse quelque chose pour te soulager. Hors, loin de moi la prétention que ces méthodes seraient les bonnes ou seraient adaptées à ta situation. Mon geste s’éternise, ma main se languit de glisser vers ton cou pour approcher ton visage un peu plus du miens, mais je me retiens, me contrôle. Si c’est là réellement ce qu’Il attend de moi, alors il m’enverra un signe.

Ses traits ne sont que compréhension et attention. Elle ne juge pas, elle ne fait que m'écouter alors que je ressens encore mon coeur se briser un peu plus, à l'idée de poser des mots sur des pensées, à l'idée de partager ce souvenir avec elle. Sa grandeur me fascinait quelque part, parce qu'elle donnait, sans attendre en retour et je savais ainsi que je m'inscrivais dans ses grands pas. Genesis laisse alors sa sagesse s'exprimer, et je l'écoute attentivement, sans en perdre un mot et ce, malgré la douleur, malgré la violence et la peine qui étaient venues noircir mon coeur un instant. Je baisse les yeux un court instant, réfléchissant à cette seconde chance. Je n'en étais pas digne, je ne l'avais pas méritée et pourtant, j'étais là. Peut-être avait-elle raison en invoquant Sa grâce et Sa miséricorde. Dieu était bon, Dieu était grand, après tout. Il nous laissait commettre des erreurs pour nous faire apprendre, pour nous tester. Siobhan avait raison, elle-aussi. Pourtant, je n'arrivais pas à les laisser me convaincre. J'étais intransigeant. Je voulais m'inscrire dans la bonté et la piété, confondant parfois miséricorde et misère. Je voulais être seulement digne de Lui, et de son amour et des choses qu'Il m'offrait. J'hoche lentement la tête, encore un peu troublé, craignant de devoir aussi lui exposer mon premier souvenir. Les lèvres closes, asséchées par le poids d'une vérité et de souvenirs bien trop lourds, je demeure silencieux; jusqu'à l'interroger sur l'éventualité qu'elle y ait été déjà confrontée. En Mère Supérieure, je la pensais protégée, hors de toute faille de son passé. En revanche, sa révélation me laisse bouche-bée. Nous étions donc tous dans cette situation ou presque ? La majorité en avait. Ce n'était pas une punition, mais seulement pour nous préserver de nos erreurs d'antan. « Sio.. Certains m'en ont parlé et, vous avez raison ma Mère, il n'y a que violence et peine dans nos vies d'antan. » Je m'étais repris juste à temps, ne laissant rien entrevoir quant à ma discussion avec Siobhan et notre instant à la plage. Je finis par me confondre en excuses et lui souris alors naïvement. Son regard plongé dans le mien, je m'y attarde, et me perds un peu. J'y trouve un réconfort et une écoute, ce qui réchauffe mon coeur. J'y trouve l'onguent de mes maux nouveaux, lorsque sa main vient s'échouer sur ma joue délicatement. Yeux clos, je profite de sa tendresse en toute humilité et la laisse, parcourir de ses doigts mes traits marqués, emportant sur son entreprise quelques frissons que je peine à dissimuler lorsqu'elle effleure ma cicatrice qui s'échoue sur ma pommette. Je me sens en sécurité, je n'ai rien à craindre en sa présence. Je me permettais alors de chercher un peu plus le contact de sa main sur mon visage. Cette dernière descend, attrape mon cou et je me sens alors m'approcher un peu plus d'elle. Dans une confiance aveugle mais surtout aux yeux clos, je me laisse faire et baisse instinctivement la tête, ne lui offrant que mon front. Quelques secondes s'écoulent, j'entrouvre mes paupières. « Ma Mère ? Vous vouliez partager un secret avec moi ? » Mais, lorsque j'observe plus attentivement ses traits, je me rends alors compte qu'un souvenir vient la heurter de plein fouet. Je prends sa main dans la mienne et la regarde, l'air inquiet et sérieux. Mon visage se tend, je ne veux pas que son amour puisse un jour être sali par un passé lointain, fait pour être oublié.

« Sio.. Certains m'en ont parlé et, vous avez raison ma Mère, il n'y a que violence et peine dans nos vies d'antan. » J’hoche lentement la tête, n’ayant d’autre choix que d’admettre qu’il semble être dénominateur commun de tous ces souvenirs que la douleur et la souffrance. Que ce soit la perte d’un être cher, à jamais oublié et désormais à nouveau dans nos cœurs rien que pour rouvrir cette plaie qui semblait, jusque-là, cicatrisé. Ou encore que ce soit pour se rappeler nos erreurs passées, nos mauvaises actions. Nous envoyant un vague de culpabilité, d’incompréhension et d’inconfort. Qui aurait envie de se souvenir qu’il était mauvais jusqu’à il y a peu de temps? Après tout, ne sommes-nous pas ici que depuis novembre? Rien ne porte à croire que notre mémoire nous ait été enlevé depuis plus longtemps.

Alors face à cette douleur, quelle qu’elle soit, je t’offre du réconfort sous forme de caresse. Un geste simple, qui se veut d’abord doux et simple. Une main sur la joue, ton visage qui s’y presse un peu plus. Je la glisse ensuite vers ta nuque et approche ta tête de mes lèvres, ton front s’impose devant moi et j’y pose une baiser comme si c’était Lui qui me le demandait, comme si mon corps n’était que vaisseau pour Lui permettre de faire sa besogne. Je demeure ainsi un instant avant de me reculer à nouveau, espérant que ce geste aussi banal puisse-t-il être, t’apportera ce dont tu avais le plus besoin. Puis, c’est comme si ma respiration se prenait dans ma gorge et j’ai du mal à laisser passer l’air. Elle refuse d’emprunter son chemin habituel et mon regard semble voilé par une brume étrange. « Ma Mère ? Vous vouliez partager un secret avec moi ? » J’entends toujours ta voix, mais c’est comme si elle était à des kilomètres de là. Ta présence est toujours ressentie par les fibres de mon corps, mais elle aussi semble irréelle. Lorsque tu prends ma main, j’ai l’impression que c’est Lui qui la prend, m’aidant à passer à travers cette épreuve.

Cette douleur, ces remords, ce carnet. Des pages arrachées, un nœud énorme dans l’estomac, un hurlement qui déchire le silence. Des noms, des nombres, d’autres pages arrachées. Un court réconfort, des illusions de soulagement. Le brouillard se disperse et ton visage reprend une forme régulière devant le miens. J’avale difficilement ma salive, tente de rester calme. J’ai envie de pleurer soudainement et me contient bien mal. Je ne suis pas là pour m’apitoyer, mais pour te montrer la voie à suivre. Tu n’es pas là pour me soutenir, mais l’inverse. Mes jambes chancellent sous mon poids qui semble accentué par la mémoire. Je ne comprends rien à ce souvenir et pourtant, une part de moi semble tout comprendre. Comme une pièce de puzzle qui ne semble pas aller avec les autres, mais qui s’emboitent parfaitement. « Vous disiez? Pardon mon père, j’ai bien peur qu’Il m’ait fait don de la mémoire afin de me permettre de comprendre exactement quelle douleur vous veniez tout juste de traverser. » J’esquisse un sourire, mais il n’atteint pas mes yeux. Cette douleur je dois la transformer en leçon et ne pas trop y penser.