shelter me » destya

Félicitations, Naštya, tu viens encore de te mettre les pieds dans les plats. Tu roules des yeux, fouillant une énième fois ton manteau à la recherche de ton trousseau de clés. Tu ne peux pas croire que tu l’as oublié à l’intérieur. Tu as envoyé un message à Abel, qui a fouillé votre lieu de travail et t’a confirmé que les clés n’étaient pas présentes. Tu les avais peut-être perdues, ou alors quelqu’un te les avait volées (ce que tu croyais peu probable). D’un œil externe, tu contemples le bâtiment dans lequel tu résides. Tu cherches une fenêtre ouverte par laquelle tu pourrais te faufiler, mais ton plan de secours se solde par un échec. Tu jettes un coup d’œil à ton téléphone. 8 h 45. Tu n’as qu’une simple envie, et c’est de te jeter dans tes draps de satin et t’endormir.

Tu dévales pourtant les marches de béton au pas de course, tes talons aiguilles martelant le bitume avec vigueur. Tu sais parfaitement où tu te diriges. Tu aurais pu retourner à la maison close et crécher à cet endroit pour une journée, mais tu as une meilleure idée. Tu vois le building se profiler devant tes yeux et tu esquisses un sourire. Tu entres dans le portique et fronces le bout de ton nez. Tu n’as évidemment pas la clé de son appartement. Tu pourrais sonner pour qu’il t’ouvre, mais à cette heure, tu te doutes qu’il dort encore. Tu rebrousses chemin et répètes ton manège. Automatiquement, tu remarques la fenêtre. Contrairement à chez toi, elle est ouverte. Et tu t’y diriges avec toute la volonté du monde, persuadée qu’entrer par effraction chez un ami n’a rien de grave. Si tu savais.

Tu refermes la fenêtre derrière toi. Tu retires également tes talons, filant vers l’entrée pour les y déposer, exactement comme si tu étais chez toi. Depuis ton arrivée, c’est souvent vers lui que tu te tournes, peu importe la raison. Il est l’une des premières personnes que tu as rencontrées, et surtout l’une des seules à qui tu fasses vraiment confiance. Sur la pointe des pieds, tu navigues dans le loft, poussant discrètement la porte de sa chambre. Elle est plongée dans la pénombre, mais tu distingues sans problème la silhouette du jeune homme, sous la couette. Sans prendre la peine de retirer ton manteau, tu montes sur le lit, te dirigeant à quatre pattes jusqu’à sa position. Tu t’allonges près de son corps, sans toutefois t’incruster sous ses couvertures. « Hey, big boy. » Tu murmures ces mots au creux de son oreille, enfouissant le bout de ton nez gelé au creux de son cou. La fraîcheur de ton nez est rapidement remplacée par tes lèvres, posant un baiser, puis un second, contre sa peau. L’une de tes mains se faufile sous le drap, le bout de tes doigts caressant son torse, presque surprise de ne pas te buter à un t-shirt. « Wake up… J’ai pas fait tout ce chemin pour te regarder dormir. » Et tu espères qu’il n’a pas le sommeil trop lourd.
   

Tu ne te rends pas compte de l’ampleur de ton geste, pas encore. Entrer chez quelqu’un d’absent en ayant la permission, c’est quelque chose. Entrer chez quelqu’un part une fenêtre sans que la personne ne soit au courant, c’est une autre histoire. Mais pour l’instant, tu te dis que ça en vaut franchement la peine. Le grognement du jeune homme t’arrache un sourire et tu ne te gênes pas pour te blottir contre lui lorsque son bras se loge contre tes hanches. Tes doigts, eux, se glissent doucement dans sa chevelure, replaçant méticuleusement ses mèches rebelles.

Cinq minutes, c’est vraiment tout ce qu’il lui fallu pour ouvrir les yeux. Son air ahuri t’arrache un adorable sourire et tu t’appuies sur ton coude pour te redresser légèrement. « Tu me manquais bien trop, j’avais envie de te faire une sur.. prise… » Indéniablement, ton regard est attiré par son torse à présent découvert. Tu l’as déjà vu torse nu, après un set au bar, mais tu as l’impression que le simple fait d’être dans son lit change toute la donne. Tu hoches négativement la tête à sa demande, tendant une main pour glisser tes doigts entre les siens. « Sauf si tu veux manger aussi. Mais je n’ai pas faim. Je ne te dérangerai pas longtemps. » Tu te redresses à ton tour, descendant légèrement la fermeture éclair de ton manteau. « En fait.. J’ai oublié mes clés.. Ça te dérange si je dors avec toi…? » Tu lui offres un air de chien battu comme tu sais si bien le faire, roulant ensuite au bord du lit pour poser tes pieds au sol. Tu n’attends pas la réponse pour ouvrir complètement ton manteau, le laissant glisser contre tes bras, reposant sur tes hanches, dévoilant ton accoutrement très peu family friendly. Un soutien gorge orné de dentelle, un porte jarretelle et une culotte couvrant à peine ton derrière. « Tu crois que tu pourrais me passer un t-shirt, pour dormir, honey? » Tu t’imposes chez lui et, en plus, tu lui demandes des vêtements. Quelle classe, Nash. Tu es une vraie amie.

Tu aimerais dormir aussi profondément que Dewei. Tu aimerais t’endormir dès que ta tête se pose sur l’oreiller, sans te réveiller une seule fois de la nuit. Et pourtant, tes yeux s’ouvrent à chaque heure, comme si ton corps était une horloge. Ton sommeil en souffre, ton humeur également. Il y a des journées pires que d’autres, comme celle que tu es en train de vivre. Tu hoches légèrement la tête à la décision de ton ami. Visiblement, tu l’as réveillé et il ne retournera peut-être pas dans les bras de Morphée aussi facilement que tu le pensais. Dans un sens ou un autre, ça ne te dérange pas. Tant que tu puisses passer du temps avec lui, ça te convient. Le questionnement qui fait surface sur son visage ne te laisse pas indifférente. Tu sais qu’il se demande pourquoi tu es vêtue ainsi, et tu sais qu’il est peut-être temps d’aborder le sujet, également. Après cinq mois à vous côtoyer, tu pensais pouvoir cracher le morceau, mais tu te rends compte que ce n’est pas aussi simple que ça. Tu attrapes le t-shirt qu’il t’offre, hochant légèrement la tête en signe d’approbation. Pendant un moment, tu laisses tes doigts s’habituer au tissu que tu sers, la tête légèrement penchée sur le côté. Tu t’approches ensuite, laissant l’une de tes mains parcourir le dos du jeune homme, arrêtant sa course contre sa nuque. Tu te hisses ensuite sur la pointe de tes pieds et déposes un baiser à la commissure de ses lèvres, un tendre sourire illuminant ton visage. « Merci… » Un seul mot, un remerciement des plus sincères prononcé sur le ton de la confidence. Tu ne t’attardes pas plus longtemps et file à la douche, comme il te l’a si gentiment proposé. Là non plus, tu ne prends pas plus de temps que nécessaire. Tu laisses l’eau couler sur ton corps un moment, avant de sortir et d’enfiler le t-shirt du jeune homme. La vue que tu as de toi-même dans le miroir de la salle de bains te fait rire et tu files retrouver ton ami à la cuisine. Dès que tu entres dans son champ de vision, tu tournes sur toi-même. « Je ne pensais pas qu’il m’irait aussi bien. » Tu dis ça simplement parce que Dewei fait deux têtes de plus que toi et que tu flottes tout de même pas mal dans ses vêtements. « Dommage que tu sois marié. J’aurais pu le porter plus souvent. » Tu esquisses un sourire moqueur et t’assoies sur le coin de la table, repoussant tes cheveux encore mouillé derrière ton épaule. « Je suis désolée de t’avoir réveillé, hein… » Tes joues se gonflent légèrement. Vraiment, si tu avais pu dormir chez toi, tu l’aurais fait. À travailler sur le même horaire, tu sais que Dewei a autant besoin de sommeil que toi et tu te promets de ne pas retenter l’expérience si la situation devait se reproduire.

Tu aurais dû lui dire dès le début. Dès votre première rencontre sur son lieu de travail, tu aurais dû lui faire part du métier que tu exerçais dans cette ville, plutôt que de faire semblant de ne pas avoir entendu la question et répondre quelque chose de totalement à côté de la plaque. Ça t’aurait évité un grand nombre de situations embarrassantes, comme celle dans laquelle tu patauges actuellement. Tu fermes les yeux un moment pour humer le fumet qui s’élève de la cuisinière. Franchement, tu ne pensais pas en avoir demandé autant. Dewei se dépassait, et même si tu n’avais pas vraiment faim, il arrivait à t’ouvrir l’appétit. On dit souvent qu’il est facile de charmer un homme par son estomac. Ce doit être la même chose pour les femmes. Qui n’aime pas voir un homme en cuisine, mh? Tu tends les mains lorsque le jeune homme s’approche, attrapant l’assiette avant qu’il ne puisse la déposer sur la table. Ses mots te touchent peut-être plus que tu ne veux le laisser croire. Tu ne veux pas t’attacher, et pourtant, tu as fait tout le contraire avec Dewei. Dès qu’il est entré dans ta vie, ce fut une sorte de coup de foudre. C’est sa façon de prendre tout à la légère, de faire des conneries qui te fait sourire à chaque fois, peu importe que tu sois d’humeur massacrante ou non. Lorsqu’il se retourne, après avoir énuméré le contenu de son frigo, tu le regardes l’air hagard, une toast entre les dents. Finalement, tu t’es laissée tenter. « Mhh. Un smoothie… » Tu te lèches les lèvres un moment, reposant ta toast dans l’assiette, sautant au bas de la table pour le rejoindre. Tu fais mine de penser un moment avant de passer tes bras autour de son cou, papillonnant des yeux quelques fois. « Ô mon preux chevalier, mon Dewei d’amour, je te serai éternellement reconnaissante si tu pouvais me faire ce smoothie. Je t’offre ce que tu veux en échange. » Tu tentes de garder ton sérieux, oui. Mais tu éclates de rire presque directement, t’appuyant sur le comptoir alors que tu sembles perdre pieds. Tu ne peux garder ton sérieux alors que Dewei est toujours le premier à faire des conneries. Un petit rayon de soleil dans ce monde que tu ne comprends pas encore. « Je peux aussi me contenter d’un bon grand verre d’eau. Ça je sais faire. » Verre d’eau que tu files te chercher par toi-même, comme si tu étais chez toi, sans attendre la réponse du brun. Tu regardes l’eau couler un instant, y glissant ton index pour t’assurer qu’elle soit bien froide, mais ne remplis pas ton verre directement. Tes prunelles fixent le jet d’eau, un air un peu plus sérieux s’emparant de tes traits. « Tu peux me poser tes questions, tu sais… » Tu murmures presque cette phrase, mais tu sais pertinemment qu’il l’a entendue. Tu le regardes du coin de l’œil, à la recherche d’une quelconque réaction, que tu ne sembles pas obtenir. Tu remplis ton verre et ferme l’eau, te retournant pour t’adosser contre le comptoir, essuyant distraitement une goutte coulant le long du verre. C’est peut-être parce que tu as peur d’aborder le sujet toi-même que tu lui lances la balle, dans l’espoir qu’il amène la conversation dans cette direction.

Dewei ne te déçoit jamais. En cinq mois, jamais tu n’as regretté sa présence dans ta vie, que ce soit suite à tes propres décisions ou à ses conneries qui te font éternellement rire. Sa réaction vient finalement lorsque tu lui poses la question et, même si le sujet ne porte pas à la rigolade, tu ne peux qu’esquisser un sourire en voyant le mixeur passer si près de son visage. Tu te pinces toutefois les lèvres lorsque la question passe enfin les siennes. Oui, tu te sens mal à l’aise, et c’est une première en sa compagnie. Tu n’as jamais eu peur de lui dire quoi que ce soit, et pourtant, à cet instant précis, tu as l’impression de marcher sur des œufs. Tu es presque heureuse d’entendre le vrombissement du mixeur retentir entre les murs et tu en profites pour vider ton verre d’eau d’un trait. Dès l’accalmie, tu hausses les épaules et murmure un léger « Pas autant que toi. » Parce qu’avec Dewei, tu as l’impression d’être la reine du monde, comme si personne d’autre n’avait d’importance. « Ça dépend des jours. De ce qu’ils veulent. D’où je me trouve. » De ce que tu es en mesure de faire. Endommager la marchandise, ce n’est jamais dans l’intérêt du client, et pourtant. Il t’est arrivé de ressortir avec plusieurs ecchymoses, d’avoir du mal à te relever de ton lit. Tu as parfois peur pour ta vie. Mais apparemment, ça fait partie du métier. « En général, je m’en sors très bien. » Lentement, tu tournes sur toi-même pour être dos à lui. Tu ramènes une main derrière ton dos et tire sur le t-shirt pour que l’encolure glisse sur ton épaule gauche, dévoilant l’un de tes tatouages ainsi que des marques de doigts. Tu pourrais accélérer la régénération des tissus, faire partir ces traces de violences plus rapidement, mais à quoi bon. Tant que tu as les preuves, tu peux les montrer à ton patron, qui lui se chargera de le faire payer à celui qui a osé te faire du mal. « Ça date d’il y a trois jours. » Pourquoi le lui montres-tu? Tu sais très bien, tout comme toi, qu’il n’a pas vraiment envie d’avoir cette conversation. Tu as pourtant l’impression d’enfoncer le couteau dans la plaie autant pour toi que pour lui. « Ce n’est pas moi qui aie choisi… J’aurais dû t’en parler dès le début. » Probablement que tu ne te tiendrais pas dans sa cuisine, attriquée de son t-shirt. Tu te demandes même s’il aurait osé te garder dans ses amis.